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LES TUMULUS.

Un beau matin on s’aperçut qu’on traversait des murs de terre crue, très épais, formés d’énormes briques régulièrement disposées. Les parements se distinguaient mal des débris amoncelés à leurs pieds ; ils furent isolés et révélèrent l’existence d’ouvrages défensifs.

Déblayer ces ouvrages fut d’autant plus difficile que le mur de terre était criblé de puits verticaux, foncés partie dans le parement, partie dans les éboulis, et de caveaux funéraires où s’empilaient des urnes tantôt debout, tantôt couchées. Un mortier de glaise aussi dur que les matériaux du mur liait les urnes entre elles ; souvent encore leur base pointue s’engageait dans une gaine de maçonnerie. La démolition de l’un de ces supports donna les fragments épars de personnages modelés sur la tranche de larges briques. Des ossements pulvérisés se mêlaient à la terre. Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris. Parfois une boule de pierre était posée sur l’embouchure du vase et préservait de la destruction finale un squelette bien conservé.

La position de ces cimetières et la rencontre de petites monnaies arsacides, destinées, j’imagine, à satisfaire un Caron asiatique, prouvaient d’une manière incontestable qu’au temps des Parthes les remparts étaient déjà ensevelis sous leurs propres débris, puisque les habitants disposaient de leurs flancs comme d’une nécropole.

Après avoir dégagé cette première ligne de fortifications et retrouvé sur l’autre face de l’éperon des murs similaires, M. Dieulafoy avait tracé la position probable de cette porte si bien défendue, et descendu une excavation jusqu’à six mètres de profondeur.

On rencontra des murs de terre crue d’une épaisseur formidable, puis un carrelage soigneusement établi ; mais les chaleurs ardentes de l’été nous chassèrent de Suse avant que nous eussions obtenu un résultat décisif. D’ailleurs des tranchées creusées à pic, non blindées, très profondes, — vraies tranchées de Damoclès, — devenaient inhabitables. Bien que les surveillants n’eussent d’autre rôle que d’observer les mouvements du sol et de faire évacuer le chantier au premier symptôme alarmant, on avait dû, par deux fois, déterrer, demi-morts, des ouvriers plus audacieux ou moins ingambes que leurs camarades. Un jour, mon mari et ses deux jeunes collaborateurs furent, comme ils remontaient sur le talus, frôlés par la chute d’un bloc de terre cubant plus de vingt mètres. Cheminer en galeries souterraines était également impraticable. Sur nos trois cents ouvriers, quatre seulement consentaient à creuser de petits tunnels longs de deux ou trois mètres ; encore ne cessaient-ils de trembler et de se lamenter que pour poser la pioche et s’endormir à l’abri des regards indiscrets. On ne saurait pousser plus avant ces recherches sans exécuter de larges déblais.