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SEMENCES DE POMMES DE TERRE.

J’ai pris possession de la tribune et disserté avec tant d’aplomb sur la section des yeux, la forme des billons, le sarclage, le binage, le chaussage de la jeune solanée, qu’à l’unanimité on m’a octroyé la direction du département des plantes potagères.

Les Dizfoulis, mis à ma disposition, sont d’abord restés les spectateurs inactifs de mes travaux ; la première planche achevée, ils ont pris la bêche, sous la réserve que je planterais moi-même ce tubercule inconnu dont le contact pourrait les souiller.

C’était bien la peine de me briser les reins et de me donner des ampoules : Cheikh Ali, accompagné de plusieurs amis, vient de pénétrer dans l’enclos, et le voilà piétinant sur mon chef-d’œuvre. Je crois que, dans ma fureur, j’ai dit de bien gros mots au cheikh. Personne heureusement ne lui a donné la traduction de mon apostrophe. J’en eusse été désolée, car ce brave homme est le seul fils du Prophète auquel je puisse pardonner pareil forfait. Jamais il n’est venu, comme Kérim Khan, nous importuner de protestations amicales, exordes obligatoires d’une péroraison intéressée. Après nous avoir traités avec une extrême froideur, il mit jadis à notre disposition six mille krans. Pendant que nous vivions sous la tente et que le trésor de la mission était séparé des mains crochues des nomades par une simple toile, il envoya, de son initiative propre, des cavaliers battre les alentours du camp et faire la chasse aux rôdeurs de nuit. De pareils services ne s’oublient pas.

Le cheikh parle peu, mais les renseignements tombés aujourd’hui de sa bouche valent leur pesant d’or.

Les difficultés inhérentes à l’emballage du chapiteau bicéphale sont résolues par la présence de Jean-Marie et la découverte de buissons centenaires dans la jungle voisine de la Kerkha. Je n’en saurais dire autant des transports. Point de route dans ce pays désert, point d’animaux de trait. C’est donc aux fleuves de la plaine, c’est à ces grands chemins qui marchent, comme les définit Pascal, qu’il faut demander secours.

Jamais mieux qu’en Susiane la nature ne se montra prodigue de ses dons, jamais elle n’arrosa plus libéralement des alluvions plus fertiles. Il semble que le régime des eaux soit combiné pour développer cette riche végétation, qu’excitent encore les rayons ardents du souverain maître de la vie.

Les auteurs anciens nous disent que la Susiane était traversée par de grands fleuves : le Pasitigris, le Copratès, le Choaspe et l’Eulæus. Ces cours d’eau ont changé de nom, mais il est aisé de reconnaître dans le Karoun, l’Ab-Dizfoul et la Kerkha, le Pasitigris, le Copratès et le Choaspe ou Khoubasp (rivière des Beaux-Chevaux, nom que les Perses appliquèrent à un grand nombre de fleuves). Seul