l’Eulæus n’a pas de correspondant moderne, car on ne saurait identifier la célèbre rivière dont les eaux reflétaient les murs de Suse avec le Chaour, qui sourd au nord du tombeau de Daniel et longe le versant méridional du Memnonium.
Au nord des ruines et à un farsak du palais, se dressent encore les digues puissantes d’un canal abandonné ; des tumulus, semés de distance en distance, semblent placés comme des forteresses commises à sa garde.
C’est l’Eulæus, assure Marcel, c’est une dérivation du Choaspe qui faisait communiquer ce fleuve avec le Copratès. Ainsi la capitale de l’Élam était comprise entre trois cours d’eau, formant autour d’elle comme la gigantesque maille d’un filet : le Choaspe ou Kerkha à l’ouest, le Copratès ou Ab-Dizfoul à l’est, l’Eulæus au nord, tous capables de porter des bateaux.
Que les temps sont changés ! Sur les rives de la Kerkha, soit en amont, soit en aval de Suse, on ne saurait découvrir une ville ou même un misérable hameau. Le pays, inculte, désert, battu par des nomades réduits à consommer le produit de leur industrie ou de leurs rapines, n’offrirait aucun élément de transactions commerciales. Depuis des siècles nul ne songe au Choaspe, à la rivière des Beaux-Chevaux. Ce fleuve, jadis célèbre, perd ses eaux sur les plaines de Chaldée, infectées de miasmes paludéens, et se fond en canaux vaseux, impraticables.
Le Karoun, moins délaissé, est navigable l’hiver jusqu’à Chouster, l’été jusqu’au barrage d’Ahwaz. Mais, avant d’atteindre cet ouvrage, il faudrait passer le pont insolide et trop étroit jeté devant Dizfoul, traverser avec les talismans de Daniel cette ville fanatique, gagner Chouster, affronter la rivière de Konah, puis rompre charge en amont du barrage, pour peu que la saison fût avancée. Mieux vaudrait encore, si nous sommes forcés de charroyer nos caisses, les expédier directement sur Ahwaz. Que la plaine est large d’ici là-bas !
Reste le Chaour, souvent encaissé, ridiculement sinueux, coupé de barrages semblables aux tunages du Rhin.
Cheikh Ali a nettement déclaré que la véritable voie, la seule qui pût nous convenir, était celle de l’Ab-Dizfoul, navigable depuis les rochers de Kalehè-Bender, situés à huit farsaks de Suse, jusqu’à son embouchure dans le Karoun.
« Attendez-vous, ajouta-t-il, à rencontrer d’immenses difficultés. Les Arabes ne se lanceront pas volontiers sur un cours d’eau torrentueux, compris entre des jungles peuplées de fauves terribles, bordées de buissons qui gênent le halage et obligent les bateliers à se servir constamment de leur gaffe. La descente n’est pas moins dangereuse que la montée, car les tourbillons sont violents, les bancs de sable et de cailloux aussi traîtres que mobiles. »
Serait-il vrai ? On amènerait des bateaux dans le voisinage de Suse ! Nul renseignement ne pouvait nous être plus précieux.