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À SUSE.

vent est favorable, on met la voile et nous volons. Les palmiers de Mohammerah apparaissent à l’horizon ; mais je serais aussi empêchée de parler du paysage que je le fus il y a quatre ans, lorsque je descendis le Karoun pour la première fois : je dors sans désemparer. Le voyage entre Suse et Djéria a été si pénible, si dangereux !

Chevaucher dix heures par jour sous un soleil implacable, recevoir ou tirer des coups de feu du matin au soir et du soir au matin, monter la garde du crépuscule jusqu’à l’aube, et n’être que deux !

12 avril. — Bassorah. — Arrivés à Mohammerah, nous partîmes pour Felieh. Marcel conta ses embarras à Cheikh M’sel ; celui-ci fit assembler les bateliers du pays. Tous refusèrent de remonter jusqu’à Kalehè-Bender. Cependant un patron déclara qu’il tenterait l’entreprise contre une rémunération de quatre mille francs par belem — il en fallait six : — encore ne répondait-il pas d’arriver à destination. Le cheikh nous conseilla de faire une tentative auprès des bateliers turcs, plus nombreux et plus audacieux que ceux de Mohammerah.

Sept heures plus tard, nous atteignions Bassorah. Nous voici installés au vice-consulat de France, abandonné depuis plusieurs mois par son locataire. La garde de la maison est confiée à un pauvre diable de concierge miné par la fièvre. Un négociant autrichien, dont l’habitation est contiguë, m’a fait offrir des meubles, qui lui sont inutiles, assure-t-il. J’ai remercié : il y a bel âge que ces superfluités ont cessé de m’être nécessaires. On est si heureux de manquer de tout pour n’avoir à s’occuper de rien.

La chancellerie est actuellement dirigée par un négociant italien. Cet agent apporte de mauvaises nouvelles : le Sané n’ose franchir la barre de Fau ; il reste à Bouchyr. Plus d’espoir d’être secourus et aidés ; nous voilà donc encore et toujours livrés à nos propres forces. La fatalité semble poursuivre les courriers de la mission : l’un, parti de Suse, aurait succombé à une blessure dont il était l’auteur involontaire ; l’autre, expédié de Bassorah, et porteur de deux télégrammes, revint avant-hier, déclarant que jamais on ne le reprendrait sur le chemin de Daniel. Une entrevue avec le lion, son épaule déchirée à la suite de ce colloque, un bain de plusieurs heures dans le Karoun, où le fauve ne l’a point suivi, l’ont confirmé dans cette détermination.

Les dépêches, trempées dans le fleuve, étaient devenues illisibles. Comme je me désolais de ne pouvoir déchiffrer leur contenu, l’agent du consulat m’a calmée :

« Madame, soyez sans inquiétude : ces deux télégrammes ne contenaient rien de fâcheux. Dans l’un, signé Hachette, on vous réclamait un manuscrit ; l’autre annonçait l’arrivée du Sané. »

Bravo ! le secret de la correspondance télégraphique est bien gardé à Bassorah.