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À SUSE.

résistance offerte à la curiosité des voyageurs par les cochers de Steamer-Point.

Les bassins, situés au fond d’une immense anfractuosité, non loin de la brisure où passe la route, sont l’œuvre des Portugais. Leurs ingénieurs mirent à profit les saillants des deux parois rocheuses, bâtirent des barrages et créèrent ainsi de vastes réservoirs destinés à emmagasiner l’eau de pluie que consomme la ville. Après la conquête, les Anglais n’eurent garde de laisser dégrader ces ouvrages ; les bassins furent multipliés, cimentés, et s’étagèrent les uns au-dessus des autres dans les moindres replis de la ravine.

Les tons rougeâtres des rocs dénudés, l’aspect sauvage de la faille, rendent plus doux aux regards les figuiers, les banians aux larges feuilles, aux racines adventives et les arbrisseaux délicats venus dans les fentes de la montagne. Près des bassins croit l’arbre à gousse, le salas ; plus loin, fleurissent les gueules de l’ingal aux longues étamines jaunes, et les grappes violettes du golm et du bendi. Nichés au milieu des rochers, entourés d’eau et de verdure, gazouillent des oiseaux, roucoulent des tourterelles et voltigent des papillons si nombreux, que la flore et la faune du pays semblent vivre tout entières au fond de cette gorge étroite. Aimable fête qu’une promenade dans ce paradis. Combien cette verdure repose les voyageurs dont les regards n’ont rencontré depuis près d’un mois que les ronces d’Obock et le jardin de l’hôtel de l’Univers !

Reprenons le chemin de Steamer-Point. Un tunnel percé récemment débouche sur un cirque naturel. L’esplanade, transformée en champ de manœuvres, est entourée de casernes à l’usage des artilleurs cipayes. Comme dans celles d’Aden, le panka, agité par des nègres, se meut nuit et jour, éloigne les moustiques et entretient une température qui permet de dormir pendant les plus chaudes nuits d’été.

9 janvier. — Je m’acclimate. Le matin et le soir amènent sous la véranda construite devant nos chambres des passants d’aspect bien divers. Dès l’aurore, apparaissent les ménagères somalies, les pêcheurs de requins se pressant, courant et portant des poissons attachés par paquets de poids égaux aux extrémités d’une barre flexible ; puis débouchent, graves et solennels, des chameaux chargés de broussailles ; une heure plus tard, les charrettes à bœufs distribuent l’eau potable envoyée de la distillerie à chaque maison européenne ou celle des citernes destinée aux lavages. Ces groupes matineux sont suivis de rapides équipages qui amènent d’Aden à leurs comptoirs de Steamer-Point les négociants zoroastriens. De la place, des barbiers banians en quête de cheveux à couper guettent les étrangers assis sous les vérandas des hôtels et s’efforcent d’attirer leur attention en projetant, à l’aide du miroir professionnel, un rayon de soleil sur la victime de leur choix ; ces figaros sont si habiles, qu’ils trouveraient moyen de raser ma propre barbe.

À dix heures et demie sonne la cloche du déjeuner. Puis le calme se fait, les