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KONAH.

Chouster et de Dizfoul. L’heure était trop avancée pour franchir une rivière torrentueuse ; nous nous sommes arrêtés au tchapar khanè (maison de poste), dépourvu depuis bien des lustres de courriers et de chevaux. Les bêtes prennent place le long des râteliers ; la mission s’installe dans une grande pièce veuve d’huisseries ; de son côté, Mirza Abdoul-Raïm fait balayer le centre de la cour, y dépose ses bagages et se prépare à passer en plein air une froide nuit de février. Quoique bien aguerrie, je ne puis voir sans une commisération mêlée d’envie un homme aussi âgé que le colonel choisir un domicile aéré de préférence à une chambre couverte, si ce n’est close.

Vers minuit on mène grand bruit à la porte de la maison de poste ; nos gens parlementent longtemps ; enfin patte blanche est montrée ; elle appartient à un courrier de Mozaffer el Molk. Dès demain le tchapar khanè doit être nettoyé et pourvu des approvisionnements nécessaires à l’entretien du camp de Son Excellence. Les ordres transmis, le ferach fraternise avec Abdoul-Raïm.

Notre arrivée épouvante-t-elle Son Excellence ? Aux termes de sa lettre, le gouverneur devait entrer à Chouster dans une huitaine de jours. Nous sommes en route depuis vingt-quatre heures pour l’aller rejoindre, et déjà il s’ébranle ! Impénétrable mystère !

Le conseil de la mission, dont tous les membres, sans exception, ont l’insigne honneur de faire partie, s’assemble et prend aussitôt une importante décision.

Monté sur le meilleur de nos chevaux, Marcel devancera l’aube afin de saisir le gouverneur avant son départ ; il obtiendra l’autorisation de toucher les fonds versés chez le banquier de Zellè Sultan, demandera la permission d’embaucher des ouvriers. La caravane passera la rivière quelques heures plus tard et gagnera Dizfoul à l’allure fatale que ne saurait modifier la volonté d’Allah.

28 février. — La rivière de Konah, large de huit cents mètres, est divisée en plusieurs bras par des bancs de gravier où les chevaux reprennent haleine après avoir lutté contre le courant. Au delà du cours d’eau, apparaît un joli bosquet de konars (jujubiers) que domine la pointe blanche d’un imam-zadé (tombeau de saint). Ci-gît Djoundi Chapour la Savante, fondée par les Sassanides et abandonnée après la conquête arabe. Sur les sites des villes broyées par la tourmente musulmane, les nomades bâtirent des tombeaux ou des mosquées qui ne tardèrent pas à devenir le centre de cimetières inviolables. Ainsi le repos octroyé aux générations qui viennent dormir le dernier sommeil à l’ombre d’un cénotaphe vénéré prolonge la paix des villes mortes et protège les sanctuaires, uniques et précieux indices d’une puissance évanouie dans la poussière des siècles.

Sous le bouquet de verdure, auprès d’un ruisseau limpide, s’agitent des ferachs fort occupés à dresser une tente de soie rouge, ornée de dessins bleus et verts, et couverte d’un coutil imperméable. Ce palais provisoire est destiné à Mozaffer el Molk.