Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/216

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tentèrent de nous lier ; et, nous ayant donné des gardes, ils se mirent à visiter la barque.

Je remarquai parmi eux un Hollandais qui paraissait avoir quelque autorité, quoiqu’il n’eût pas de commandement : il connut à nos manières que nous étions Anglais ; et, nous parlant en sa langue, il nous dit qu’on allait nous lier tous dos à dos, et nous jeter dans la mer. Comme je parlais assez bien hollandais, je lui déclarai qui nous étions, et le conjurai, en considération du nom commun de chrétiens et de chrétiens réformés, de voisins, d’alliés, d’intercéder pour nous auprès du capitaine. Mes paroles ne firent que l’irriter : il redoubla ses menaces ; et, s’étant tourné vers ses compagnons, il leur parla en langue japonaise, répétant souvent le nom de christianos.

Le plus gros vaisseau de ces pirates était commandé par un capitaine japonais qui parlait un peu hollandais : il vint à moi ; et, après m’avoir fait diverses questions, auxquelles je répondis très-humblement, il m’assura qu’on ne nous ôterait point la vie. Je lui fis une très-profonde révérence ; et, me tournant alors vers le Hollandais, je lui dis que j’étais bien fâché de trouver plus d’humanité dans un idolâtre que dans un chrétien ; mais j’eus bientôt lieu de me repentir de ces paroles inconsidérées ;