Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours ; mais nous ne nous entendions ni l’un ni l’autre.

Au bout de deux heures, la cour se retira, et on me laissa une forte garde pour empêcher l’impertinence, et peut-être la malice, de la populace, qui avait beaucoup d’impatience de se rendre en foule autour de moi pour me voir de près. Quelques-uns d’entre eux eurent l’effronterie et la témérité de me tirer des flèches, dont une pensa me crever l’œil gauche. Mais le colonel fit arrêter six des principaux de cette canaille, et ne jugea point de peine mieux proportionnée à leur faute que de les livrer liés et garrottés dans mes mains. Je les pris donc dans ma main droite et en mis cinq dans la poche de mon juste-au-corps ; et, à l’égard du sixième, je feignis de le vouloir manger tout vivant. Le pauvre petit homme poussait des hurlemens horribles ; et le colonel avec ses officiers étaient fort en peine, surtout quand ils me virent tirer mon canif. Mais je fis bientôt cesser leur frayeur ; car, avec un air doux et humain, coupant promptement les cordes dont il était garrotté, je le mis doucement à terre, et il prit la fuite. Je traitai les autres de la même façon, les tirant successivement l’un après l’autre de ma poche. Je remarquai avec plaisir que les soldats et le peuple avaient été très touchés de cette action d’huma-