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HISTOIRE D’UN GOUJON

Deux ans c’est beaucoup, et ça compte dans la vie d’un goujon !

Quand j’ouvris les yeux, nous étions tout un essaim de petits êtres à peine longs comme une demi-aiguille de pin, dans un creux noir, sous une roche. D’abord, étourdi par le bruit de l’eau qui frôlait notre abri, je collais mon bec rond sur la roche et ne bougeais guère. Combien de temps je restai là, je l’ignore.

Cependant, un moment qu’il faisait plus clair, je vis que nous n’étions plus qu’une douzaine ; beaucoup étaient partis, aussi nous nous serrions les uns contre les autres comme des petits soldats après la bataille.

J’eus faim. Tout autour de nous il y avait de minuscules choses vivantes qui descendaient au fil de l’eau. J’ouvrais le bec et il en entrait dedans, et je n’avais plus faim. Un jour pourtant, une larve plus grosse que les autres se mit à tournoyer dans le remous voisin. D’un seul élan, sortant de l’ombre, je mangeai la larve qui était bonne, et pour la première fois je sus que je savais nager. Mais le courant trop fort m’entraîna bien loin et je dus m’abriter derrière une autre roche.