Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/334

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Oronte

Pour surprendre mon cœur c’est la plus sûre voie.
Cette présomption qu’elle étale à son tour,
Ne fut jamais défaut en matière d’amour,
Une belle âme seule en peut être capable,
Ou si c’est un défaut, c’est un défaut aimable.
Quelque superbe humeur que je témoigne avoir,
J’aime qu’un bel objet se fasse un peu valoir,
Qu’il voie avec dédain qu’à l’aimer on s’apprête,
Et mettre à bien haut prix l’espoir de sa conquête.
Ne montrer dès l’abord ni mépris, ni rigueur,
Bien loin de l’acquérir, c’est mendier un cœur,
Et ce cœur qui se rend quand on l’en sollicite,
Se donne à la pitié bien plutôt qu’au mérite.
Le mien à ces appas se laisse peu toucher,
J’estime seulement ce qui me coûte cher,
Et pour te dire tout, la faveur la plus grande
N’est point pour moi faveur, à moins qu’on me la vende.

Cliton

Vous avez en amour le goût bien dépravé.
Mais Flore, qu’en est-il !

Oronte

Son règne est achevé,
Mon âme à ses rigueurs à la fin s’est soustraite.

Cliton

Mais vous aimez pourtant, Monsieur, qu’on vous maltraite ?

Oronte

Oui, pourvu qu’un Rival ne soit pas mieux traité,
Et qu’on me fasse voir une noble fierté,
Qui semblant s’indigner de mon peu de mérite,
Loin d’amortir mon feu, l’entretienne et l’irrite.
Mais enfin Dorotée a beau dissimuler,
D’une flamme secrète elle se sent brûler,
Et son cœur à l’amour jusqu’ici peu sensible
Veut perdre en ma faveur le titre d’invincible.
J’ose en juger par moi qui cède à ses appas.