Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/340

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Si chaque Objet me plaît, c’est sans inquiétude,
Jamais de préférence, et point de servitude,
Toujours prêt de le perdre, et de m’en détacher
Au moindre événement qui me pourroit fâcher.
Ainsi quelque beau feu que je fasse paroître,
Pour ne rien hasarder, j’en suis toujours le maître ;
Ainsi divers Objets m’engageant chaque jour
Je me regarde seul dans ce trafic d’Amour,
Et chassant de mon cœur celui qui m’incommode,
Si je sais mal aimer, du moins j’aime à la mode.

Cliton

Conservez cette humeur, vous en aurez besoin.

Oronte

Mon déplaisir, Cliton, ne va jamais plus loin ;
Si l’une me trahit, l’autre me tient parole,
Et j’ai dans mon malheur toujours qui m’en console.
C’est là l’utilité d’aimer en divers lieux.

Cliton

Hilas, tant qu’il vécut, ne l’entendit pas mieux.

Oronte

Son humeur et la mienne ont quelque différence,
J’aime tant que l’on m’aime, et n’ai point d’inconstance ;
Mais quand par un caprice on songe à me quitter,
Je suis trop mon ami pour m’en inquiéter,
Je vois ce changement sans que mon cœur s’irrite,
Et remplace aisément la part qu’on m’en racquitte,
Ainsi je vis heureux, tant payé que tenu.

Cliton

Votre cœur à ce compte est d’un bon revenu ?

Oronte

Tel qu’il est, de beaucoup il attire l’envie ;
Mais j’en dois la moitié tout au moins à Lucie.

Cliton

En ceci le partage est un étrange point.
Donnez-le tout entier, ou ne le donnez point,
Votre flamme autrement sera mal écoutée,
Et Lucie agira comme a fait Dorotée.