Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/261

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Et dois-je appréhender de mon mauvais destin,
Que Cléomène heureux ait causé ce chagrin ?
D’où peut-il être né quand la joie est publique ?

ERIPHILE.

Souffrez une demande avant que je m’explique.
Votre courage est grand, et la prise d’un roi
Par vous de tout l’état vient de chasser l’effroi.
Mais quoi qu’il se promette après cette victoire,
Vous-même assurez-moi de ce que j’en puis croire,
Et si je dois en vous, son vaillant protecteur,
Admirer un héros ou craindre un imposteur ?

CLÉOMÈNE.

Madame, qui vous donne un soupçon qui m’outrage ?

ERIPHILE.

Un bruit fortifié d’un puissant témoignage :
Purgez-vous d’un faux roi que pour nous abuser
Sous un feint équipage on vous fait supposer ;
Parlez, et dut ma gloire en demeurer ternie,
Je vous en croirai seul : est-ce une calomnie ?
Et l’éclat d’un hymen qui vous doit rendre heureux,
Fournit-il à l’envie un trait si dangereux ?
Dépêchez, Cléomène, il est temps de répondre !
Tu te tais, c’en est trop, lâche, pour te confondre,
Ton désordre t’accuse, et je vois trop pourquoi
Tu voulois de ton rang être crû sur ta foi !

CLÉOMÈNE.

Je suis surpris sans doute, et toute mon adresse
Ne peut cacher mon trouble aux yeux de ma princesse,
Non qu’alors qu’un faux bruit m’ose calomnier
Il ne me soit aisé de me justifier,
Car il n’est pas si vrai que je suis Cléomène,
Qu’il l’est que j’ai livré Timocrate à la reine,
Qu’un succès favorable a rempli son espoir,
Et qu’elle a sur sa vie un absolu pouvoir.
Mais ce qui fait ma peine et mes inquiétudes,
C’est de vous voir pour lui des sentiments si rudes
Que je n’ose espérer qu’un généreux effort
Vous fasse plaindre au moins le malheur de sa mort.