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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 3, 1748.djvu/36

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Mais, dans cet intervalle, usant de sa puissance,
L’amour s’est bien vengé de mon indifférence.
Un autre Dom Fernand pour troubler mon repos…

ISABELLE.

Un autre, dites-vous ?

LÉONOR.

Un autre, dites-vous ?Dom Fernand d’Avalos.
Un procès qu’à la cour il est venu poursuivre,
L’a tiré de Grenade où le ciel le fait vivre ;
Et mes sens en lui seul se sont sentis flattés
De tout ce qu’on peut voir d’aimables qualités.
Sans savoir ce qu’en moi sa rencontre fit naître,
Vous savez l’accident qui me le fit connoître,
Un jour qu’au bord du fleuve, où j’osai m’engager,
Mes chevaux s’emportant m’eussent mise en danger,
Si soudain à leur fougue opposant son courage,
Il n’eût sû m’épargner ce genre de naufrage.
Je ne vous ferai point de récits superflus,
Je le vis, il me plût, il me vit, je lui plûs.
Une pareille ardeur dans nos cœurs sembla naître ;
Mais, quelque effort alors qu’il fît pour me connoître,
Malgré ce grand service il ne put rien savoir,
Sinon qu’en ce lieu même il pourroit me revoir.
Ainsi, dès ce moment, contre toute apparence,
Mon amour commença par la reconnoissance ;
Et sans cesse mon cœur, par de secrets discours,
S’entretient du péril pour songer au secours.
J’aimois à me tenir cette image présente,
J’évitois d’être ingrate, & me rendois amante ;
Et pour me livrer mieux aux transports que je sens,
L’Amour se prévaloit de l’erreur de mes sens.

ISABELLE

Mais engagée enfin à l’hymen par un pere,
Qu’est-ce dans cet amour que votre cœur espere ?

LÉONOR.

Tout, si d’un si beau feu l’impérieuse loi
Peut attendre de lui ce qu’elle obtient de moi,