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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/206

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Scène V

Prusias, Élise, Araxe, Alcine

Prusias

Quoi, Madame, toujours cet air mélancolique ?

Élise

Quelle joie en mes yeux voulez-vous qui s’explique ;
Seigneur, lorsque partout les Destins conjurés
À nous persécuter se montrent préparés ?
Si nous trouvons chez vous, par un doux avantage,
De quoi nous consoler de l’exil de Carthage,
Les Romains aussitôt de ce bonheur jaloux
S’opposent aux bontés que vous avez pour nous.
Avecque sa fortune errante et vagabonde
Un seul homme fait peur à ces Maîtres du monde.
À nous voir votre appui, leur trouble est sans égal.

Prusias

Madame, je ne sais ce qu’en juge Annibal,
Mais si j’ai le malheur qu’après mille assurances
Rome le fasse entrer en quelques défiances,
Du moins est-il le seul qui soupçonnant ma foi
N’ait pas les sentiments qu’il doit avoir de moi.
Sur le titre d’Ami chacun me rend justice,
Et même on craint si peu que rien nous désunisse,
Que pour vous obtenir, vos Amants aujourd’hui
Implorent mon suffrage, et briguent mon appui.

Élise

Que parlez-vous d’Amants, Seigneur ? Est-il croyable
Qu’en l’état où je suis on pût me croire aimable,
Et sur mon triste sort fermer assez les yeux,
Pour s’unir au rebut des hommes et des Dieux ?
Non, non, il faut me fuir ; il n’est revers ni peine
Qu’en tous lieux avec moi ma disgrâce ne traîne,