Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/207

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Et me vouloir aimer, seroit sans aucun fruit
Livrer sa destinée au malheur qui me suit.
Aussi mon cœur n’est pas un bien où l’on aspire,
Et si me regardant quelquefois on soupire,
La pitié que mes maux s’attirent chaque jour,
Laisse dans ces soupirs peu de part à l’amour.

Prusias

Et ce sont ces malheurs qui vous rendent à craindre.
Pour être tout à vous il ne faut que vous plaindre,
Et voir dans vos beaux yeux cette douce langueur
Qui surprend, émeut, touche, et pénètre le cœur.
Attale qui se plaît à vous rendre les armes,
De ces beaux yeux peut-être auroit bravé les charmes,
Si pour ce grand triomphe en secret emporté
Ils se fussent servis de toute leur fierté ;
Mais l’adoucissement qu’y mêlent vos disgrâces
Fait briller…

Élise

Ces douceurs sont pour les âmes basses,
Seigneur, et mon orgueil s’en accommode mal.
De grâce, traitez mieux la Fille d’Annibal.
Mes yeux ont démenti la fierté de mon âme
S’ils la font soupçonner de quelque lâche flamme.
Attale sort d’un sang qui peut prétendre à moi,
Mais il fut dans vos fers avant que d’être Roi,
Et l’éclat de ce Trône où je le vois qui monte,
N’a pas encor assez effacé cette honte.

Prusias

Ah, que cette fierté paroît digne de vous ?
J’en conçois pour mon Fils un augure bien doux.
Pour vos charmants appas vous savez qu’il soupire,
Ses respects ont cent fois pris soin de vous le dire,
Il n’aime qu’à vous plaire ; à des feux si soumis,
Madame, expliquez-vous, quel espoir est permis ?

Élise

Quoi, vous croyez qu’Élise ait l’âme assez ingrate
Pour pouvoir consentir que cet amour la flatte,