Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/227

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Renoncez à des nœuds qui pourroient vous trahir
Jusqu’à vous dérober la honte d’obéir.

Attale

Que Rome à sa fierté jamais m’assujettisse !
Que mon cœur se ravale à s’en faire complice,
Et qu’assis sur ce Trône où j’aspire à vous voir,
Je m’y laisse éblouir d’un titre sans pouvoir !
Madame, jugez mieux de l’ardeur qui m’enflamme.
L’orgueil d’un si beau feu répond d’une belle âme,
Et l’honneur de prétendre à vos divins appas,
Dans qui vous ose aimer ne souffre rien de bas.
Ainsi ne craignez point qu’aucune dépendance
Me fasse démentir les droits de ma naissance.
De l’éclat de mon rang ce cœur vraiment jaloux,
S’il doit prendre des lois, n’en prendra que de vous.
Sur lui, sur ses désirs, il vous fait souveraine.
C’est un Roi fier, hautain, dont vous êtes la Reine ;
Mais lorsqu’à votre empire il se rend si soumis,
De grâce, quel espoir lui laissez-vous permis ?
Croira-t-il qu’une ardeur et si tendre et si forte,
Touche assez vos désirs…

Élise

Seigneur, que vous importe ?
Si jamais vous avez le nom de mon Époux,
Je connois mon devoir, et c’est assez pour vous.
Sans égard à l’amour, de pareilles hyménées
Ne font que décider des grandes Destinées,
Et quand on voit par où bien remplir ce qu’on est,
Aimer ou n’aimer pas est un foible intérêt.
Il faut se mettre au rang des âmes trop communes
Pour laisser à l’amour balancer les Fortunes,
Et les charmes secrets qui suivent ses langueurs,
Sont des abaissements indignes des grands coeurs.
Le mien les connoît peu ; qu’Annibal vous choisisse,
Que de ma main pour vous il fasse un sacrifice,
Ce cœur fera soudain vanité d’obéir,
Mais bien moins pour aimer qu’afin de mieux haïr.