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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/564

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Vous la voyez souvent, et j’admire, Seigneur,
Que sa beauté n’ait rien qui touche votre cœur.

OENARUS.

Vois par là de l’Amour le bizarre caprice.
Phèdre dans sa beauté n’a rien qui n’éblouisse.
Les charmes de sa Soeur sont à peine aussi doux,
Je n’ai qu’un mot à dire pour en être l’époux ;
Cependant, quoique aimable, et peut-être plus belle,
Je la vois, je lui parle, et ne sens rien pour elle.
Non, ce n’est ni par choix, ni par raison d’aimer,
Qu’en voyant ce qui plaît, on se laisse enflammer.
D’un aveugle penchant le charme imperceptible
Frappe, saisit, entraîne, et rend un cœur sensible,
Et par une secrète et nécessaire loi
On se livre à l’Amour sans qu’on sache pourquoi.
Je l’éprouve au supplice où le Ciel me condamne.
Tout me parle pour Phèdre, et tout contre Ariane ;
Et quoi que sur le choix ma raison ait de jour,
L’une a ma seule estime, et l’autre mon amour.

ARCAS.

Mais d’un pareil amour n’êtes-vous pas le maître ?
Qui peut tout, ose tout.

OENARUS.

Que me fais-tu connoître
L’ayant reçue ici, j’aurois la lâcheté
De violer les droits de l’hospitalité !
Quand je m’y résoudrois, quel espoir pour ma flamme ?
En la tyrannisant, toucherois-je son âme ?
Thésée est un Héros fameux par tant d’exploits,
Qu’auprès d’elle en mérite il efface les Rois.
Son cœur est tout à lui, j’en connois la constance,
Et nous ferions en vain agir la violence.
Ainsi par mon respect, au défaut d’être aimé,
Méritons jusqu’au bout de m’en voir estimé.
Par d’illustres efforts les grands cœurs se connoissent,
Et malgré mon amour… Mais les Princes paraissent.