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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/568

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Ma raison qui toujours s’intéresse pour elle,
Me dit qu’elle est aimable, et mes yeux qu’elle est belle.
L’Amour sur leur rapport tâche de m’ébranler ;
Mais quand le cœur se tait, l’Amour a beau parler.
Pour engager ce cœur ses amorces sont vaines,
S’il ne court de lui-même au-devant de ses chaînes,
Et ne confond d’abord pas ses doux embarras
Tous les raisonnements d’aimer, ou n’aimer pas.

PIRITHOÜS.

Mais vous souvenez-vous que pour sauver Thésée
La fidèle Ariane à tout s’est exposée ?
Par là du labyrinthe heureusement tiré…

THESEE.

Il est vrai, tout sans elle étoit désespéré.
Du succès attendu son adresse suivie,
Malgré le Sort jaloux, m’a conservé la vie,
Je la dois à ses soins ; mais par quelle rigueur
Vouloir que je la paye aux dépens de mon coeur ?
Ce n’est pas qu’en secret l’ardeur d’un si beau zèle
Contre ma dureté n’ait combattu pour elle.
Touché de son amour, confus de son éclat,
Je me suis mille fois reproché d’être ingrat.
Mille fois j’ai rougi de ce que j’ose faire,
Mais mon ingratitude est un mal nécessaire,
Et l’on s’efforce en vain par d’assidus combats
À disposer d’un cœur qui ne se donne pas.

PIRITHOÜS.

Votre mérite est grand, et peut l’avoir charmée ;
Mais quand elle vous aime, elle se croit aimée.
Ainsi vos vœux d’abord auront flatté sa foi,
Et vous aurez juré…

THESEE.

Qui n’eût fait comme moi ?
Pour me suivre, Ariane abandonnoit son Père,
Je lui devois la vie, elle avoit de quoi plaire.
Mon cœur sans passion me laissoit présumer
Qu’il prendroit à mon choix l’habitude d’aimer.