Aller au contenu

Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
ALCIME

Vous aimez Polixène ?

ACHILLE

Oui, je l’adore, Alcime,
L’amour que j’ai pour elle égale mon estime,
Et de ma liberté l’entier engagement,
À ses premiers regards n’a coûté qu’un moment.
Si tu savois l’état où d’abord je l’ai vue !
La rencontre à mon cœur fut sans doute imprévue,
Dans les plus fiers transports qu’exhaloit mon courroux
Je la vis tout à coup pleurer à mes genoux.
Résolu de braver tout l’éclat de ses charmes,
Je ne pus un moment résister à ses larmes,
Ma tremblante fureur s’en laissa désarmer,
La haine m’animoit, je ne sus plus qu’aimer,
Et si j’en eusse crû ma passion extrême,
À ses pieds devant tous j’aurois prié moi-même.
Ah, contre un ennemi qui cause nos malheurs
Qu’un bel objet est fort quand il verse des pleurs !
Le corps d’Hector rendu satisfit son envie.
Que n’eus je le pouvoir de lui rendre la vie !
Au moins à ce défaut j’allai dans Troie exprès
Honorer son tombeau de quelques vains regrets.
Priam qui m’y reçut en roi digne de l’être
Dans son propre Palais me fit traiter en maître.
La pompe dont au Camp pour Hector j’ai pris soin
Sembloit le convier d’en être le témoin ;
Dans ma Tente à mon tour je l’attirai sans peine,
Et tout cela, pour être auprès de Polixène,
Pour jouir de sa vue, et ne point m’arracher
À l’unique plaisir qui me puisse toucher.

ALCIME

L’amour peut tout, Seigneur, mais…

ACHILLE

Je t’entends Alcime,
Je quitte Briseis, tu vas m’en faire un crime.