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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/375

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La Comtesse.

Il me voit quand il veut, que faut-il davantage ?
Quoi, pour quelques soupirs, pour un peu de langueur,
Vous croyez bonnement qu’il faut donner son cœur ?
S’engage qui voudra, je ne vais pas si vîte,
Avec tous mes amans chaque jour je m’acquitte,
Et prétens que des vœux qui me sont adressés,
Le plaisir de me voir les a récompensés.
Tant qu’ils en usent bien, je leur fais bonne mine,
J’écoute leurs douceurs, prends mon humeur badine,
Je raille ; mais aussi quand on fait un faux pas,
J’ai l’air sombre, je rêve, & ne regarde pas.
D’ailleurs, point de caprice, & c’est par où j’engage
Cette foule d’amans dont je reçois l’Hommage.
Ma cour est toujours grosse, on y chante, on y rit ;
Et quand l’un me déplaît, l’autre me divertit.

Olympe.

J’avois crû qu’au marquis une secrette flamme
Assuroit, quoi qu’on fît, l’empire de votre ame,
Et plaignois l’Inconnu, dont les soins amoureux
Ne pouvoient mériter qu’il fût jamais heureux.
S’y prendre de la sorte est un grand avantage ;
Il doit n’être qu’esprit, tout ce qu’il fait engage ;
Et, sans doute, il faudroit, quand on l’a sû charmer,
Se mal connoître en gens, pour ne le point aimer.

La Comtesse.

Je ne sai si pour lui j’ai plus que de l’estime ;
Mais de ce que je sens je me fais presque un crime,
Et rougis en secret d’avoir tant de témoins
Du trop de complaisance où m’engagent ses soins.
Rien n’est plus obligeant, j’en dois chérir la cause ;
Mais enfin il se cache, & c’est pour quelque chose.
Tout galant qu’il paroît, qui pourra m’assurer
Qu’il mérite l’amour qu’il tâche à m’inspirer ?
Il est de riches sots, qui, pour certains usages,
Tiennent un bel esprit quelquefois à leurs gages ;