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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/400

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Rêvant à vos beautés dont j’avois l’ame pleine,
Je me suis égaré dans la forêt prochaine,
Et voulant accourcir, mon cheval m’a mené
Dans le sentier confus d’un endroit détourné.
Quelques pas me montroient une route racée ;
J’ai suivi, tant qu’enfin une tente dressée
M’a fait appréhender le plus grand des malheurs ;
J’ai crû qu’elle servoit d’auberge à des voleurs.

Le Marquis.

La peur prendroit à moins, dans un bois ! Une tente !

Le Vicomte.

Tout franc, la vision n’est point divertissante.

La Comtesse.

Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ?

Le Vicomte.

J’aurois été fâché de mourir sans vous voir,
Car, pour du cœur, je crois que j’en avois de reste ;
Mais j’ai bientôt sorti d’un doute si funeste.
Mon cheval, tout-à-coup, s’élançant malgré moi,
J’ai connu mon erreur, & ri de mon effroi.
Au lieu de mousquetons, j’ai vû dans cette tente
Les apprêts différens d’une fête galante ;
Et ceux qui la gardoient, de mon abord surpris,
Parloient certain jargon où je n’ai rien compris,
C’étoient, pour la plûpart, visages à la Suisse,
Chacun, selon son rôle, avoit là son office ;
L’un, d’un Bohémien quittoit l’habillement,
L’autre, d’une coëffure ajustoit l’ornement ;
Force mains autour d’eux paraissoient occupées
À nouer des rubans sur des branches coupées.
J’ai dans un certain coin remarqué le débris
D’une colation qui valoit bien son prix,
Grands citrons, fruits exquis, confitures choisies.
J’ai vû des violons, des lustres, des bougies,
J’ai vû… là, des… Enfin j’ai tant vû, que jamais
On n’eut tant d’attirail dans les plus grands ballets.
J’ai donné droit au but, & deviné l’affaire ;
Mais pour mieux m’éclaircir, penché vers l’un d’eux, Frere,