Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/480

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Élisabeth.

Ahh ! Je vois trop jusqu’où la tienne se ravale,
Le trone te plairoit, mais avec ma rivale ;
Quelque appas qu’ait pour toi l’ardeur qui te séduit,
Prends-y garde, ta mort en peut être le fruit.

Le Comte.

En perdant votre appui, je me vois sans défense,
Mais la mort n’a jamais étonné l’innocence ;
Et si pour contenter quelque ennemi secret,
Vous souhaitez mon sang, je l’offre sans regret.

Élisabeth.

Va, c’en est fait, il faut contenter ton envie.
À ton lâche destin j’abandonne ta vie ;
Et consens, puis qu’en vain je tâche à te sauver,
Que sans voir… Tremble, ingrat, que je n’ose achever ;
Ma bonté, qui toujours s’obstine à te défendre,
Pour la derniere fois cherche à se faire entendre.
Tandis qu’encore pour toi je veux bien l’écouter,
Le pardon t’est offert, tu le peux accepter ;
Mais si…

Le Comte.

Mais si…J’accepterois un pardon ? Moi, Madame ?

Élisabeth.

Il blesse, je le voi, la fierté de ton ame ;
Mais s’il te fait souffrir, il falloit prendre soin
D’empêcher que jamais tu n’en eusses besoin ;
Il falloit, ne suivant que de justes maximes,
Rejetter…

Le Comte.

Rejetter…Il est vrai, j’ai commis de grands crimes,
Et ce que sur les mers mon bras a fait pour vous,
Me rend digne en effet de tout votre courroux.
Vous le savez, Madame, & l’Espagne confuse
Justifie un vainqueur que l’Angleterre accuse.
Ce n’est point pour vanter mes trop heureux exploits
Qu’à l’éclat qu’ils ont fait j’ose joindre ma voix.