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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/48

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Victime d’une paix qu’on m’a fait demander,
Priam résout ma mort, c’est à moi de céder,
Heureuse en m’immolant pour calmer la tempête,
Si l’éclat n’en tomboit que sur ma seule tête,
Mais ma raison se perd quand de si rudes coups
Désespérant Pyrrhus, rejaillissent sur vous,
Et le crime odieux dont je me vois complice,
Par ce que je vous dois m’est le dernier supplice,
Punissez en l’audace, elle est dure à souffrir,
Mon sang peut l’expier, et je viens vous l’offrir.

PYRRHUS

Ainsi, Madame, ainsi vous êtes résolue
D’accepter un arrêt qui vous perd et me tue ?
Si mon cœur est un bien que l’amour vous rend cher,
Songez-vous ce que c’est que de vous l’arracher ?
Songez-vous ce que c’est que de forcer le vôtre
A changer de tendresse, à vivre pour un autre,
Et voyez-vous ces maux avec si peu d’effroi,
Que vous n’ayez pitié ni de vous ni de moi ?

POLIXÈNE

J’en frémis, je l’avoue, et mon âme étonnée,
A mille morts par là se trouve condamnée,
Mais dés que j’ose voir vos malheurs et les miens,
J’entends les cris affreux que poussent les Troyens,
La nature me fait une image sanglante
Et de Priam sans vie et d’Hécube mourante.
Je vois, sans respecter, âge, sexe, ni rang,
Les Grecs presser le meurtre et nager dans le sang,
Et la flamme partout avide à se répandre,
Dévorer nos Palais et laisser Troie en cendre.
Quand par là mon repos se pourroit acheter,
Vaudroit-il les horreurs qu’il auroit su coûter ?

BRISEIS

Espérons mieux du Ciel, quelque dure disgrâce
Dont votre amour timide ait reçu la menace,
Il ne souffrira point qu’un accord inhumain,
Vous ôtant à Pyrrhus, lui vole votre main.
Suspendez vos ennuis ; l’ordre qui les fait naître…