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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/49

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POLIXÈNE

J’ai sans doute à rougir de les laisser paroître,
Vous me donnez l’exemple, et moins d’accablement
Aurait du suivre en moi la perte d’un Amant.
Vôtre fière vertu qu’aucun revers n’étonne
Me reproche le trouble où mon cœur s’abandonne,
Un peu d’effort sur vous lui fait tout surmonter,
C’est beaucoup, je voudrois la pouvoir imiter,
Et soutenir le coup d’une âme aussi tranquille
Que je vous vois souffrir l’inconstance d’Achille.

BRISEIS

Achille est inconstant ?

PYRRHUS

Madame, Achille… Ah, Dieux ?

BRISEIS

Sur cet affreux revers je n’ose ouvrir les yeux.
Se pourroit-il qu’Achille eut souffert qu’en son âme…

POLIXÈNE

Et quoi, de ce barbare ignorez-vous la flamme,
Et qu’il veut que ma main, assassinant Pyrrhus,
Soit le prix des honneurs qu’Hector en a reçus ?
En vain Hécube en pleurs, en vain le roi mon père
A refusé la sœur au meurtrier du frère ;
En vain d’une autre flamme ils se sont fait l’appui,
Point de paix, point d’accord si je ne suis à lui.
Perdant, renversant Troie il nous fera connoître
Qu’Achille suppliant a pu parler en maître,
Et qu’un dernier assaut donné de toutes parts,
Sitôt qu’il s’armera, le met sur nos remparts,
Nous cédons à la force. Et qui peut s’en défendre ?

BRISEIS

Son amour devant tous s’est fait cent fois entendre.
Qui l’auroat pu penser ? Après tant de serments,
Tant de soins, de devoirs, d’ardeurs, d’empressements,
Achille, cet Achille à qui toute son âme
Sembloit un prix trop bas pour bien payer ma flamme,
Me quitte, m’abandonne, et violant sa foi,
Porte ailleurs ce qu’en vain je croyois tout à moi.