Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/50

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Ah, Prince, à ce malheur toute ma raison cède,
Il a trop de témoins pour souffrir du remède,
Puisque contre sa gloire Achille a fait ce pas,
Sa fierté m’est connue, il ne changera pas,
Et je dois préparer mon âme infortunée
Aux éternels ennuis où je suis condamnée.

PYRRHUS

Enfin, à ma disgrâce il ne manque plus rien,
Au moins dans les grands maux la vengeance est un bien,
Et tant que cet espoir a soulagé ma flamme
J’ai moins senti le coup qui va m’arracher l’âme.
Par un fatal surcroît de malheurs inouïs,
Prêt à verser du sang j’entends le nom de fils,
Et vois avec horreur que ma juste colère,
Pour percer mon rival, doit s’armer contre un père.
Ah, Madame, vous perdre est-ce un mal si léger,
Qu’il faille le souffrir, et ne vous point venger.

POLIXÈNE

Vous en avez sujet, plaignez-vous l’un et l’autre,
L’aigreur de mon destin se répand sur le vôtre,
Pour vous perdre, le ciel semble n’épargner rien,
Mais enfin vos malheurs approchent-ils du mien ?
Si la douleur du coup vous les fait croire extrêmes,
Au moins vous demeurez absolus sur vous-mêmes,
Et la rigueur du sort n’asservit point vos cœurs
A la nécessité de se donner ailleurs :
Mais quand d’un feu qui plaît la douceur combattue
Cède à l’affreuse loi d’un devoir qui nous tue,
Qu’on n’éteint un amour dont on étoit charmé
Que pour en voir un autre à sa place allumé,
Des plus cruels tourments tout ce qu’on se figure
N’est de ce dur revers qu’une foible peinture.
J’en tremble, et ma vertu qui craint mon désespoir
N’ose m’abandonner à ce qu’elle ose voir,
Elle n’offre à mes yeux qu’une confuse image
De l’abîme étonnant des maux qu’elle envisage,