Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/503

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C’est votre reine, &, quand pour fléchir son courroux
Elle ne veut qu’un mot, le refuserez-vous ?

Le Comte.

Oui, puis qu’enfin ce mot rendroit ma honte extrême.
J’ai vécu glorieux, & je mourrai de même ;
Toujours inébranlable, & dédaignant toujours
De mériter l’arrêt qui va finir mes jours.

Salsbury.

Vous mourrez glorieux ! Ah, ciel, pouvez-vous croire
Que sur un échafaud vous sauviez votre gloire ?
Qu’il ne soit pas honteux à qui s’est vû si haut…

Le Comte.

Le crime fait la honte, & non pas l’échafaud ;
Ou si dans mon arrêt quelque infamie éclate,
Elle est lorsque je meurs, pour une reine ingrate,
Qui voulant oublier cent preuves de ma foi,
Ne mérita jamais un sujet tel que moi.
Mais la mort m’étant plus à souhaiter qu’à craindre,
Sa rigueur me fait grace, & j’ai tort de m’en plaindre.
Après avoir perdu ce que j’aimois le mieux,
Confus, désespéré, le jour m’est odieux.
À quoi me serviroit cette vie importune,
Qu’à m’en faire toujours mieux sentir l’infortune ?
Pour la seule duchesse il m’auroit été doux
De passer… Mais, hélas ! un autre est son époux.
Un autre dont l’amour moins tendre, moins fidéle…
Mais elle doit savoir mon malheur, qu’en dit-elle ?
Me flattai-je en croyant qu’un reste d’amitié
Lui fera de mon sort prendre quelque pitié ?
Privé de son amour, pour moi si plein de charmes,
Je voudrois bien du moins avoir part à ses larmes.
Cette austere vertu qui soutient mon devoir,
Semble à mes tristes vœux en défendre l’espoir ;