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Scène II.

LÉON, BRADAMANTE, DORALISE.
Léon.

Madame, permettez pour la premiere fois
Que je me plaigne à vous de vos injustes loix.
Plus je touche au moment où j’y dois satisfaire,
Plus je sens que mon cœur à moi-même est contraire.
Pour lui votre conquête est le plus grand des biens,
Mais quand je m’y prépare, il en hait les moyens ;
Et confus dans ses vœux qu’il approuve & rejette,
Voulant vous acquérir, il craint ce qu’il souhaite.
Non qu’un combat l’étonne ; il sait trop de quel prix
Est l’adorable objet dont on le voit épris.
Viennent tous ces Guerriers, dont la haute vaillance
A rempli l’Univers du renom de la France,
Qu’ils m’osent disputer le nom de votre époux.
Ferme, & sans m’étonner, je les attendrai tous ;
Et pour en triompher, malgré leur avantage,
Il suffit que l’amour seconde mon courage.
Mais ce même courage, intrépide aux combats,
Où contre mes rivaux je laisse agir mon bras,
Ce courage si ferme, & que rien n’épouvante,
Frémit, se laisse abattre au nom de Bradamante,
Il se rend, il lui céde, & je n’ai plus de cœur
Dès qu’il faut acquérir le nom de son vainqueur.
Ah ! Madame, changez une loi si cruelle,
Ne désespérez point l’amant le plus fidéle ;
Et par mes seuls devoirs laissez-moi remporter
Ce qu’en vous combattant je n’ose mériter.