Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/527

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Bradamante.

Prince, depuis un mois je vous ai fait connoître
Quelle je fus toujours, & quelle je veux être.
Vous m’aviez demandé ce temps pour m’engager
À quitter un dessein que rien ne peut changer.
À quoi que votre amour pour le rompre s’obstine,
Ce n’est qu’à mon vainqueur que ma main se destine ;
Et prêts à disputer la victoire entre nous,
Le trouble qui vous gêne est indigne de vous.
Mais je vois ce qui met ce trouble dans votre ame,
Il vous paroît honteux de combattre une femme ;
Et c’est ne vous donner à vaincre qu’à demi,
Que de vous mettre en tête un si foible ennemi.

Léon.

Avec tout l’Univers qui les vante, les prise,
Je sais qu’on craint partout Bradamante & Marphise,
Que leur valeur est rare, & qu’en plus d’un combat
Des plus fameux exploits elle a terni l’éclat ;
Mais malgré tout le bruit que fait leur renommée,
Où prendre un ennemi dans Bramante aimée,
Et comment se résoudre à combattre, à s’armer,
Quand le cœur qui se rend n’est fait que pour aimer ?

Bradamante.

Hé bien, Seigneur, hé bien, si vous m’en voulez croire,
Nous ouvrirons le champ seulement pour la gloire.
Pour rendre en ce défi tout égal entre nous,
Renoncez au dessein de vous voir mon époux,
Étouffez un amour qui vous nuit, & me blesse.
Nous pourrons joindre alors la valeur à l’adresse,
Et voir qui de nous deux, dans ce noble intérêt,
Avec plus de fierté soutiendra ce qu’il est.

Léon.

Et l’amour sur les cœurs prend-il si peu d’empire,
Qu’au moment qu’on le veut on puisse s’en dédire ?
Du combat jusqu’ici j’ai voulu m’affranchir
Pour faire agir mes soins, tâcher de vous fléchir ;