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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/528

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Mais tous ces soins n’ont fait qu’offrir mieux à ma vûe
Les rares qualités dont vous êtes pourvûe.
Mon mal s’en est accru ; le trait qui m’a blessé,
Dans mon cœur plus avant s’est toujours enfoncé ;
Et mes tristes devoirs n’ont servi qu’à me rendre
Capable d’un amour & plus fort & plus tendre.
Mais quelle est mon erreur, & que puis-je espérer
De qui pour mon rival se plaît à soupirer ?
Ma tendresse a beau faire, un autre a pris la place,
Roger, l’heureux Roger…

Bradamante.

Roger, l’heureux Roger…N’en dites rien de grace,
Il est absent, Seigneur ; & si quelque souci
Vous le fait voir à craindre…

Marphise.

Vous le fait voir à craindre…Ah ! Que n’est-il ici !
Pour empêcher mon cœur de se laisser abattre,
Que n’ai-je, au lieu de vous, ce rival à combattre ?
Avec combien de joie & de ravissement
Lui ferois-je éprouver…

Bradamante.

Lui ferois-je éprouver…Vous parlez en amant.
Roger est dangereux, sa valeur est extrême,
Tout le monde lui céde, & Bradamante même ;
Cependant Bradamante a le bras, a le cœur
Capable d’étonner le plus hardi vainqueur ;
Et ce triomphe heureux dont l’ardeur vous entraîne,
Peut-être à l’obtenir aurez-vous quelque peine.
La gloire est un grand prix, s’il m’y faut renoncer,
Ce n’est que par ma mort qu’on m’y pourra forcer.

Marphise.

Moi, vouloir votre mort ? Que dites-vous, Madame ?
C’en est fait, je le vois, plus d’espoir pour ma flamme.
J’avois crû, s’agissant de gagner votre cœur,
Que vous n’affectiez point un combat de rigueur ;
Que ce seroit assez pour avoir cette gloire,
Que sur vous par l’adresse on cherchât la victoire,