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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/536

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M’ayant sauvé le jour, généreux, magnanime,
Il ne connoît en moi qu’un ami qu’il estime,
Et le faux nom d’Hyppalque a caché jusqu’ici
Ce rival, dont enfin il doit être éclairci.

Marphise.

Il ne vous croit qu’Hyppalque, & de votre poursuite…

Roger.

Vous sûtes mon départ, apprenez-en la suite.
Désespéré de voir qu’Aimon trop rigoureux,
Éloignant Bradamante, eût dédaigné mes vœux,
Je regarde Léon comme auteur de l’outrage ;
Et le cœur tout rempli de ma jalouse rage,
Je pars, & dans la Grece où l’on me voit voler,
À mon espoir trahi je cherche à l’immoler ;
J’approche de Belgrade, & j’y vois deux armées,
D’une ardeur inégale au combat animées.
Les Bulgares rompus commençoient à plier,
Plus d’ordres que la peur ne leur fît oublier.
Léon qui s’assuroit déja de la victoire,
Par la mort de leur roi s’étoit couvert de gloire ;
Et d’un si rude coup ces peuples étonnés
Au désordre, à l’effroi s’étoient abandonnés ;
Tout parloit du vainqueur. La fureur dans mon ame,
À ce nom odieux, & s’excite & s’enflame,
Je plains ses ennemis, & pour les dérober
Au bras victorieux qui les fait succomber,
J’embrasse leur parti, les presse, exhorte, anime,
Verse du sang par tout, joins victime à victime ;
Et dans chaque ennemi croyant voir mon rival,
Rens aux plus fiers d’entre eux mon désespoir fatal.
J’intimide les Grecs, remplis leur camp d’alarmes ;
Et découvrant un chef que distinguent ses armes,
Je le prens pour Léon, le suis de rang en rang,
Le renverse, & le laisse expirer dans son sang.
Les Bulgares bientôt ont l’entier avantage,
Tout leur céde, & la nuit fait cesser le carnage.