Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/560

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Charmé de Bradamante, enfin voici le jour
Qui va par son hymen couronner mon amour ;
Et puisque je vous dois cette illustre conquête,
Daignez être témoin de cette grande fête.
Quelque maux où vous livre un destin rigoureux,
Vous les sentirez moins en me voyant heureux.

Roger.

Ah ! Vous ne savez pas dans l’extrême souffrance,
Ce qu’est un malheureux qui n’a plus d’espérance.
Tout lui déplaît, le blesse, & trouble sa raison.
Du bien qu’obtient un autre il se fait un poison.
Vous méritez celui que le ciel vous envoie ;
Mais, Seigneur, si j’étois témoin de votre joie,
Je sens bien que mes maux que vous voulez flatter
Ne feroient près de vous encor que s’augmenter.
Souffrez donc qu’affranchi d’un supplice si rude,
Je les aille traîner dans quelque solitude.
Infortuné rebut & du monde & du sort,
Je n’ai pour les finir de secours qu’à la mort.

Léon.

Ne vous en croyez point ; notre premiere idée
De ce qui la saisit vivement possédée,
Par un accablement où l’esprit se confond,
Nous peint toujours nos maux plus fâcheux qu’ils ne sont.
Ainsi, mon cher Hyppalque, obtenez de vous-même
D’écouter les conseils d’un prince qui vous aime.
Dites-moi ce qui peut troubler votre bonheur.
Quand je le connoîtrai, peut-être…

Roger.

Quand je le connoîtrai, peut-être…Non, Seigneur.
Laissez-moi mon secret, tout m’oblige à le taire,
Et s’il est vrai qu’encor je vous sois nécessaire,
Voyez ce que je puis, & me dites en quoi
Vous avez résolu de vous servir de moi.

Léon.

Je devrois comme vous, bornant ma confiance,
Sur d’importans secrets me forcer au silence ;