Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/566

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Si j’ai votre amitié, je la paie assez cher.
À vos yeux pour jamais j’ai voulu me cacher,
Et cherchant loin de vous à traîner une vie
Que déja mes ennuis devroient m’avoir ravie,
J’allois vous épargner l’amertume des coups
Que souffre un malheureux qui ne l’est que par vous.
Accablé du triomphe où l’amour vous engage,
Pour vous le conserver, qu’ai-je pû davantage ?
Je partois, je fuyois, pourquoi me rappeler ?
Me reprochera-t-on d’avoir osé parler ?
Et si votre intérêt ne vous eût pas fait croire,
Que je pouvois encor soutenir votre gloire,
Malgré l’état funeste où mes jours sont réduits,
N’auriez-vous pas toujours ignoré qui je suis ?
Et qu’importe après tout que l’on m’ait fait connoître ?
D’un hymen glorieux êtes-vous moins le maître ?
Pour goûter le plaisir qu’on trouve à se venger,
Vous pouvez ne pas voir Hyppalque dans Roger.
N’y voyez qu’un rival dont la flamme insolente
Ose vous dérober le cœur de Bradamante.
De ce triste bonheur si vous étes jaloux,
Ma peine vous doit être un spectacle assez doux.
Servez-vous-en, Seigneur, pour redoubler la joie
Qu’on ressent des grands biens quand le ciel les envoie.
Ce spectacle a de quoi satisfaire vos vœux,
Puisque jamais rival ne fut si malheureux.

Léon.

Qu’il souffre ce rival, j’y consens, qu’il gémisse.
À quelque dur excès que monte son supplice,
Il n’égalera point la peine que je doi
À qui prétend avoir plus de vertu que moi.
Roger, je l’avouerai, m’a cédé ce qu’il aime ;
Il s’est pour me servir armé contre lui-même ;
Mais s’il m’eût de son cœur fait connoître l’ennui,
Ce qu’il a fait pour moi, je l’aurois fait pour lui.