Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/571

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Roger.

Je l’avouerai, Seigneur, sans vous reprocher rien,
Son malheur seroit grand s’il approchoit du mien.
Je ne vous en fais point la funeste peinture,
Vous ne savez que trop ce qu’il faut que j’endure,
Moi qui du plus beau feu dès long-temps consumé,
M’arrache à ce que j’aime, & suis sûr d’être aimé.

Léon.

Dans les maux que vous coûte un destin si contraire,
Si mon sang peut avoir de quoi vous satisfaire,
Je vous estime assez pour vouloir accepter
Le défi que pour vous on m’est venu porter.
Mais avant que mon bras remplisse votre attente,
Je dois voir terminer l’hymen de Bradamante.
Le Duc Aimon son pere en a reçû ma foi.
L’hymen fait, j’y consens, armez-vous contre moi.
J’ouvrirai la carriere, & quoi que la victoire
Vous puisse en ce combat promettre quelque gloire,
Peut-être alors, peut-être…

Roger.

Peut-être alors, peut-être…Ah ! N’appréhendez pas
Que mon malheur me donne un cœur lâche, un cœur bas.
Malgré tout ce que peut l’ennui qui me tourmente,
J’aime & respecte trop l’illustre Bradamante,
Pour oser me permettre en de si rudes coups
Le criminel dessein d’attaquer son époux.
Mon juste désespoir a d’autres loix à suivre.
Voir son hymen, suffit pour achever de vivre.
Je saurois mal aimer, si, pour finir mes jours
Ma douleur n’étoit pas un assez prompt secours.