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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/70

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POLIXÈNE

Si j’entends mon devoir, c’est ce qu’il me demande,
À ses barbares lois il veut que je me rende,
Et qu’aux vœux d’un époux un Amant immolé
Se taise dans mon cœur quand Priam a parlé.
Mais ce cœur se révolte, et ma vertu complice
Des tendres mouvements qui vous rendent justice,
Laisse à l’amour sur lui malgré ce fier devoir,
Conserver pour Pyrrhus ce qu’il eut de pouvoir,
Les traits en sont présents sans cesse à ma mémoire.
L’aveu sans doute est fort, il peut blesser ma gloire,
Mais je puis m’échapper à plus que je ne dois
Quand je vous parle enfin pour la dernière fois.

PYRRHUS

Pour la dernière fois ?

POLIXÈNE

Oui, Prince, votre vue
Par l’ennui de vous perdre et m’accable et me tue,
Et pour jouir au moins de quelque ombre de paix
Il faut que je consente à ne vous voir jamais.
C’est n’immoler pas peu ; quel qu’en soit le supplice
Faites, si vous m’aimez, le même sacrifice,
Et content de savoir que jusqu’au dernier jour
Le dedans déchiré vengera votre amour,
Souffrez que le dehors pour apaiser ma gloire
Cache ce que du mien je vous permets de croire.
Adieu, Prince. En l’état où le Ciel nous a mis,
Un plus long entretien ne peut m’être permis.
Je lis dans vos regards la douleur où vous êtes,
Leur trouble m’en fait voir les atteintes secrètes,
Et n’a déjà que trop de quoi vous accabler
Sans que ma vue encor cherche à le redoubler.

PYRRHUS

Qu’il redouble, aussi-bien sans espoir pour ma flamme,
Plus de repos pour moi, frappez, frappez, Madame,
Sur ce cœur affligé portez les derniers coups,
Plus ils seront mortels, plus ils me seront doux.