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iv
introduction.

nement de Nerva, une ère plus heureuse[1]. C’est alors que Tacite fut élevé au consulat qui était encore regardé comme la dignité suprême et le terme de l’ambition des citoyens. Étant consul, il prononça, du haut de la tribune aux harangues, l’oraison funèbre de Virginius Rufus, auquel il venait d’être subrogé. La fortune, toujours fidèle à Virginius, dit Pline le Jeune[2], gardait pour dernière grâce un tel orateur à de telles vertus. En effet, le peuple romain entendit quelque chose de plus grand que le panégyrique d’un empereur, celui d’un citoyen qui n’avait pas voulu l’être. Virginius, proclamé malgré lui par les légions de Germanie avant et après la mort de Néron, s’était montré inébranlable dans son refus, et avait, dit La Bletterie, « bravé plus de périls pour éviter la puissance souveraine, que l’ambition n’en affronte pour l’obtenir. » Quel sujet pour Tacite ; parlant sous un prince qui, lui-même, n’avait accepté l’empire qu’à regret !

Le grand âge de Nerva ne lui permettait pas d’exercer longtemps l’autorité suprême ; mais il étendit ses bienfaits au delà des bornes de sa vie en adoptant Trajan, et en le faisant nommer par le sénat son collègue et son successeur. Ce fut, à ce que l’on croit, pendant les quatre mois qui séparent cette adoption de la mort de Nerva, que la Vie d’Agricola fut composée. « Le style de cet ouvrage, dit La Harpe, a des teintes plus douces et un charme plus attendrissant » que celui des Annales et des Histoires. C’est l’effet des deux sentiments qui l’inspirèrent, la piété filiale et l’admiration pour un grand caractère et de glorieux exploits. Cependant on retrouve dans la peinture de cet espionnage, « qui aurait ôté aux Romains la mémoire même avec la parole, s’il était aussi possible d’oublier que de se taire[3], » dans le tableau de ce Domitien, « spectateur des crimes qu’il ordonne, et observant tranquillement la pâleur des malheureux qu’il a faits[4] », une vigueur de pinceau et une énergie de blâme que nulle part l’auteur n’a surpassées. « Il écrivit cet ouvrage, dit encore La Harpe, « dans un temps de calme et de bonheur, où l’on voit qu’il commence à pardonner ; » ce qui suppose qu’il aurait écrit les autres sous la tyrannie de Domitien, pendant laquelle, selon le même critique, « obligé de se replier sur lui-même, il jeta sur le papier tout cet amas de plaintes et ce poids d’indignation dont il ne pouvait autrement se soulager. » Ce jugement est ingénieux : mais il manque d’une condition indispensable, la vérité. puisque la première composition historique de Tacite est la Vie d’Agricola.

Je ne demanderai pas si l’ensemble de cet ouvrage est à l’abri de toute critique, si c’est une histoire, ou un discours, ou un mélange de plusieurs genres divers. Il suffit qu’il attache par la nouveauté des descriptions, par l’intérêt des récits, par la vérité des sentiments, que le style en soit noble et la morale élevée, qu’enfin il fasse aimer à la fois le panégyriste et le héros ; or personne ne contestera ces

  1. An de Rome 819 ; de J.C 96
  2. Pline, Ép. II, i
  3. Agricola, chap. ii
  4. Ibid., chap. xiv