Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/173

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et beaucoup d’autres qu’y ajouta la flatterie, toujours pressée d’enchérir sur elle-même. Des images sans nombre décorèrent la pompe de ses funérailles. Énée, tige de la maison des Jules, tous les rois Albains, Romulus, fondateur de la ville, puis les nobles effigies de la branche sabine, Attus Clausus et tous les Claudius, ses descendants, formaient un long et majestueux cortège.

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Dans ce récit de la mort de Drusus, j’ai rapporté les faits attestés par les auteurs les plus nombreux et les plus dignes de foi. Cependant je ne puis omettre un bruit tellement accrédité alors qu’il n’a pas encore perdu toute créance. Séjan, dit-on, après avoir engagé Livie dans le crime par le déshonneur, s’assura, par une liaison non moins infâme, de l’eunuque Lygdus, chéri de son maître pour sa jeunesse et sa beauté, et chargé dans la maison de Drusus d’un des premiers emplois. Ensuite, quand le jour et le lieu de l’empoisonnement furent arrêtés entre les complices, il eut l’audace de donner le change ; et, accusant Drusus en termes couverts de méditer un parricide, il avertit le prince d’éviter la première coupe qui lui serait présentée à la table de son fils. Dupe de cet artifice, le vieillard remit à Drusus la coupe qui lui fut offerte au commencement du repas, et le jeune homme sans défiance la vida d’un seul trait, ce qui fortifia les soupçons : on crut que, dans son effroi et sa honte, il s’était condamné lui-même à la mort qu’il destinait à son père.

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Tels étaient les bruits populaires ; mais aucune autorité ne les confirme, et le moindre examen les réfute. Quel homme en effet, je ne dirai pas instruit comme Tibère par ce que l’expérience a de plus hautes leçons, mais quel homme de bon sens, aurait pu, sans entendre son fils, lui présenter la mort, et cela de sa propre main, au risque de se préparer d’inutiles regrets ? Neût-il pas plutôt mis à la torture l’esclave qui offrait le poison ? Ne serait-il pas remonté à la source du crime ? Aurait-il renoncé, pour un fils unique jusqu’alors irréprochable, à cette lenteur circonspecte dont il usait même envers des étrangers ? Mais l’opinion qu’il n’était pas un forfait dont Séjan ne fût capable, la faiblesse du prince pour ce favori, la haine dont l’un et l’autre étaient l’objet, accréditaient jusqu’aux fables les plus monstrueuses ; et la renommée se plaît à entourer la mort des princes de tragiques circonstances. D’ailleurs Apicata, femme de Séjan, révéla toute l’intrigue ; et les aveux d’Eudème et de Lygdus, à la torture, la