Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/183

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Alors l’accusateur nomma Cn. Lentulus et Séius Tubéro ; à la grande confusion de César, qui voyait les premiers de Rome, ses plus intimes amis, Lentulus, d’une extrême vieillesse, Tubéro, d’une santé languissante, accusés d’avoir appelé la guerre étrangère et conspiré contre la république. Tous deux furent aussitôt déchargés. On mit à la question les esclaves du père, et leurs dépositions confondirent le dénonciateur. Celui-ci, égaré par le délire du crime, effrayé des clameurs du peuple, qui le menaçait du cachot fatal15, de la roche tarpéienne, ou du supplice des parricides, s’enfuit de la ville. Ramené par force de Ravenne, il fut contraint de continuer sa poursuite. Tibère ne cachait pas sa vieille haine contre l’exilé Sérénus. Après la condamnation de Libon, celui-ci s’était plaint, dans une lettre à l’empereur, d’être le seul dont le zèle fût resté sans récompense ; et il avait ajouté quelques paroles trop fières pour ne pas blesser des oreilles superbes et délicates. Tibère, après huit ans, rappela ses griefs, et chargea le temps intermédiaire d’imputations diverses, "toutes certaines, disait-il, quoique la torture n’eût arraché aucun aveu à l’opiniâtreté des esclaves."

15. Dans la prison publique bâtie sur le penchant du mont Capitolin, vis-à-vis du Forum, était un cachot souterrain où l’on exécutait les criminels condamnés à mort. C’est aujourd’hui la chapelle souterraine d’une petite église qu’on appelle San Pietro in carcere, parce que saint Pierre y fut mis en prison.

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Plusieurs sénateurs furent d’avis que Sérénus fût puni à la manière de nos ancêtres16. Tibère s’y opposa, pour diminuer l’odieux de cette affaire. Gallus Asinius voulait qu’on l’enfermât à Gyare ou à Donuse. Il s’y opposa encore, parce que ces deux îles manquaient d’eau, et qu’on devait laisser les moyens de vivre lorsque l’on accordait la vie. Sérénus fut reconduit à l’île d’Armogos. Comme Cornutus s’était donné la mort, on parla de supprimer les récompenses des accusateurs, lorsqu’un homme, poursuivi pour lèse-majesté, se serait lui-même privé de l’existence avant la fin du procès. On allait se ranger à cet avis, si Tibère, contre sa coutume, se déclarant ouvertement pour les accusateurs, ne se fût plaint avec dureté "que les lois perdaient leur sanction, que la république était au bord du précipice. Mieux valait renverser tous les droits que d’ôter les gardiens qui veillaient à leur maintien." Ainsi l’on