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xv
INTRODUCTION.

mais les anciens etaient artistes dans l’histoire comme dans toules leurs Oeuvres. Le beau dans les formes, dont ils avaient un sentiment si vif, et qui se concilie si bien avec le beau moral , etait la preraiere loi de leurs compositions. Nous y avons gagne des chefs-d’oeuvre, et nous y perdons peu en inslruction veritable. II n’importe guere, apres tout, de savoir au juste combien Tibere sacrifia de malheureux ; mais il imporie, pour la moralite de l’histoire, que la cruaute soit flelrie et que la memoire du tyran soit trainee devaut la posterite , couverle du sang qu’il versa.

II me reste k parier de deux accusations coritradictoires, et qui ne sont pas les moins graves. On p^retend que Tacite est tantot superstitieux ä l’exces , tantot sceptique jusqu’ä Timpiete. Qu’il soit superstitieux en effet , qu’il croie aux prodiges . ä la divmation . aux predictions des aruspices, je ne lui en ferai point un crime. Ces croyances etaient une partie de la vieille religion des Romains , et un ecrivain dont toutes les pensees sont graves et morales devait respecter la religion de son pays ; il devait meme s’y attacher d’autant plus fortement, que les progresde l’incredulite et l’invasion des cultes nouveaux l’avaient plus ebranlee. C’est ä l’epoque oü l’on avait pu dire : « Les dieux s’en vont , » que la republique avait cesse d’etre. Les Souvenirs de la liberte se liaient ä ceux des ceremonies antiques ; doit-on s’etonner que Tacite les confondit dans les memes regrets ? Le dogme de la fatalite, dont il declare que la plupart des hommes sont imbus , avait d’ailleurs pour consequence necessaire la foi aux presages. Cependant Tacite n’accordait pas tant au destin qu’il ne fit sa part ä la liberte de l’homme ; et iln’admettait pas si aveuglement les prodiges, qu’il ne se permitquelquefois une expression de doute’. Au reste. que les prodigea soient, aux yeux de lecrivain , des signes de l’avenir , ou de simples phenoraenes de la nature, ou des inventions de la peur et de Tignorance, ils n’en sont pas moins du domaine de l’histoire. Faux ou reels , ils ont les memes eflets s’ils s’emparent des esprits de la multitude. Ce que le monde a cru , l’historien doit le rapporter , quand ce serait une erreur : les erreurs ont souvent influe plus puissamment que la verite sur le sort des Etats.

Si ce que nous avons dit de l’esprit religieux de Tacite est fonde , le reproche d’impiete n’a plus besoin de refutation. II ne s’appuie en effet que sur deux phrases , oü l’on pretend que Tacite nie ou insulte la Providence, tandis que dans ces phrases memes il lui rend un eclatant hommage. Au commencement des Histoires . apres avoir trace rapidement l’effrayant tableau d’une epoque feconde en forfaits et en catastrophes, il s’ecrie : a Non. jamais plus horribles calamites du peuple romain ni plus justes arrets de la puissance divine ne prouverent au monde que , si les dieux ne veillent pas ä notre securite , ils prennent . Auaales, liv. VI, chap. xxn. — ?.. Und., liv. IV, clinp. xx. 3. Ibid., liv. I, chap. xxvm ; Histoires, liv, I, cliup. x, lxxxvi ; liv. IV, cbap, XXVI, etc.