Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/26

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soin de notre vengeance[1] ; » et on lui fait dire « que les dieux ne veillent sur les hommes que pour les punir[2]. » A la fin des Annales[3], il désigne au mépris des gens de bien un certain Égnatius qui, cachant sous l’ex- térieur d’un stoïcien l’âme d’un monstre, faisait trafic du sang de san ami ; et il rapproche de cette trahison le dévouement généreux du Bi- thynien Asclépiodote, qui se laisse exiler et dépouiller de ses richesses plutôt que d’abandonner la disgrâce de Soranus, dont il avait honoré la fortune. « Ainsi, ajoute l’auteur, la justice des dieux opposait un bon exemple à un mauvais. » L’étrange préoccupation de quelques esprits a vu dans ces paroles que « les dieux étaient indifférents au vice et à la vertu. »

Ce serait ici le lieu de rechercher quelles furent les opinions philosophiques de Tacite, si la lecture de ses ouvrages n’était pas le meilleur moyen de s’en faire une idée. Au temps où il vécut, la raison humaine était partagée entre la doctrine de Zénon et celle d’Épicure. La première s’était propagée au milieu de la dépravation et de l’avilissement des âmes, comme pour protester en faveur de la dignité de l’homme : elle élevait l’opprimé au-dessus du tyran, en lui faisant mépriser la douleur et la mort ; elle consolait même des malheurs publics en don- nant la force de souffrir ce qu’on ne peut empêcher. La philosophie d’Épicure, plus conforme à la pente générale des mœurs, pouvait néanmoins être aussi un refuge contre la tyrannie : elle ne bravait point le péril, mais elle en écartait l’idée ; elle ne créait point à l’homme une liberté qu’il pût conserver jusque dans les fers, mais elle couvrait ses chaînes de fleurs ; en amollissant les âmes. elle leur rendait la résignation moins pénible. Si Tacite eût fait un choix, certes il se fût décidé pour l’école qui a produit Caton et Thraséas ; mais rien n’autorise à croire qu’il ait subordonné sa raison aux dogmes d’aucune secte. Sa philosophie, aussi forte, aussi élevée que celle des stoïciens, mais plus douce et plus indulgente, ne connaissait pas ce rigorisme qui, en outrant les principes, les pousse jusqu’au paradoxe.

Cette mesure dans la sagesse est aussi la règle de ses jugements poli- tiques. L’amour de la liberté respire partout dans ses écrits ; partout on y sent le regret des temps qui ne sont plus : son âme est républicaine sous la monarchie des Césars, mais il se soumet de bonne foi au gouvernement établi. Il ne cache pas qu’il doit son élévation à trois princes, dont le dernier était Domitien. Il loue Agricola d’avoir opposé à la haine de ce tyran une conduite prudente et modérée ; il pense qu’il peut y avoir de grands hommes sous de mauvais princesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., et « qu’il est possible de trouver, entre la résistance qui se perd et la servilité qui se déshonore, une route exempte à la fois de bassesse et de pé-

4.

2.

3. — 4. Agricola, chap. xrat.

  1. Histoires, liv. I, chap. iii.
  2. Cette phrase est de d’Alembert : je la choisis comme exprimant plus nettement qu’aucune autre le contre-sens que tant d’interprètes, de traducteurs et de critiques. s’accordent à faire sur ce passage.
  3. Annales, liv. XVI, chap. xxxiii.