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INTRODUCTION.

rils[1]. » Et ces maximes, il ne les professe pas seulement en son nom personnel ; il les place encore dans la bouche de Thraséas, détournant le tribun Rusticus d’une opposition qui compromettrait son avenir[2]. Un despote seul pourrait craindre qu’on ne cherchât dans Tacite des aliments à l’esprit de révolte et des conseils de sédition. Si les Tibère et les Néron sont punis par cela même que Tacite les a peints, tous les bons princes nous semblent récompensés par les éloges qu’il leur donne dans la personne d’un Nerva, « qui sait allier deux choses jadis incompatibles, le pouvoir suprême et la liberté[3] ; » dans celle d’un Trajan, « sous l’empire duquel on est libre de penser ce qu’on veut et de dire ce qu’on pense[4]. »

La traduction que j’offre au public est de moi tout entière. On y trouvera peu de ressemblances avec celles qui l’ont précédée. Ce n’est pas que j’aie mis de l’amour-propre à refaire autrement ce qui était bien fait : mais, dût ce jugement paraître sévère, j’ai eu trop rarement à me défendre de cette tentation. D’ailleurs tout homme qui écrit a son style propre, qui dépend surtout de la forme sous laquelle il conçoit sa pensée et du tour qu’il y donne. Or, il y a plus d’une manière de voir ses propres idées et, à plus forte raison, celles d’autrui ; et voilà pourquoi tant de traducteurs, en voulant reproduire le même modèle, font des copies si dissemblables entre elles. J’en conclus qu’une même phrase peut être suffisamment bonne et convenable dans une traduction. et cesser de l’être si on la transporte dans une autre, parce qu’elle n’aura point ou la tournure, ou le mouvement, ou la couleur, demandés par ce qui suit et par ce qui précède. Aussi je n’ai jamais pensé qu’on pût faire une bonne traduction en corrigeant celles des autres. Du moins n’obtiendra-t-on jamais par ce moyen cette unité de ton et cette harmonie d’ensemble nécessaires dans toute œuvre de l’esprit.

De plus, une traduction, pour être lue, doit être de son siècle. Et je ne plaide pas ici la cause du néologisme : la nouveauté des mots ne fait pas celle du style, et la langue française possède depuis longtemps des expressions pour toutes les idées. Mais il est un progrès universel auquel ce genre d’ouvrages doit participer comme le reste. Les mêmes choses sont envisagées, d’un siècle à l’autre, d’une manière différente ; on découvre chaque jour dans des objets déjà et souvent observés des rapports inaperçus ; et, pour appliquer à un exemple particulier cette remarque générale, on entend mieux les anciens depuis que les grandes scènes de leur histoire se sont en quelque sorte renouvelées sous nos yeux. Cette lumière qui naît des événements et du jeu des passions nous montre dans leurs écrits ce qu’auparavant on n’y distinguait pas assez. Si donc il est vrai de dire que ce serait manquer à la vérité historique et faire un perpétuel anachronisme que de ne regarder l’anti-

  1. Annales, liv. IV, chap. xx.
  2. Ibid., liv. XVI, chap. xxvi.
  3. Agricola, chap. iii.
  4. Histoires, liv. I, chap. i.