Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/28

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quité qu’à travers les intérêts contemporains et la politique du jour, il est vrai aussi que le traducteur est entraîné par le mouvement public de son temps, qu’il en reçoit l’impression, et que son travail en réfléchit une image plus ou moins fidèle. C’est par cette raison qu’aux plus brillantes époques de notre littérature les traducteurs les plus habiles donnaient sans scrupule

L’air et l’esprit français à l’antique Italie.

C’était la faute du siècle autant que de l’écrivain. Une pareille erreur serait aujourd’hui condamnée de tout le monde, et quiconque a senti l’influence du temps où nous vivons est averti de ne pas y tomber. Le goût des recherches historiques a éveillé la critique, et, à mesure qu’on a plus étudié les sociétés anciennes, on les a vues sous un jour plus vrai. Ce sont des réalités qu’on demande à l’histoire, et on les accepte telles qu’elle les donne. Les choses les plus opposées à nos mœurs ne paraissent plus ni bizarres ni choquantes ; on les tolère au moins comme des faits. Par une conséquence nécessaire, on s’est familiarisé avec les mots qui les expriment : et les noms de dignités civiles ou militaires n’ont plus besoin de se produire sous un déguisement moderne.

La réforme s’est étendue même jusqu’au style. Le bon goût public a fait justice de cette distinction arbitraire qu’une école vieillie établissait entre une belle traduction et une traduction fidèle : on pense aujourd’hui que la fidélité et la beauté peuvent aller de compagnie. Peut-être fallait-il qu’après des copies platement littérales parussent des imitations qui visaient à l’élégance plus qu’à l’exactitude. et qui s’offraient comme leçon et modèle de beau langage français. Mais les choses n’en pouvaient rester là : on ne traduit plus pour enseigner le style à ses contemporains, mais pour reproduire, si l’on peut, dans sa langue, les pensées d’un auteur ancien avec leur forme originale et leur couleur native. Or, en même temps qu’on a senti le besoin de se rapprocher de l’antique, on s’est aperçu que la langue française fournissait pour cela des ressources à qui saurait les trouver. Mais si les devoirs, les droits et les moyens du traducteur sont mieux connus, sa tâche en est devenue aussi plus pénible. On lui permet d’être ancien avec les anciens ; on lui en fait même une loi : mais on veut qu’il le soit avec grâce, et que chargé d’entraves il marche en liberté.

Je borne ici ces réflexions. dont le but n’est pas de montrer ce que j’ai fait, mais ce que j’ai voulu faire. Après ce peu de mots sur l’esprit qui a dirigé mon travail, je dois entrer dans quelques détails pour ainsi dire matériels, dont le lecteur excusera la sécheresse en faveur de leur nécessité.

Quoique le texte de Tacite ait été travaillé, corrigé, épuré par beaucoup d’habiles commentateurs, on peut dire cependant qu’il y reste toujours quelque chose d’indécis, puisque les meilleures éditions différent dans certains passages. J’aurais pu en adopter une et m’y tenir ; mais il en coûte de renoncer à son libre arbitre ; et j’ai cru d’ailleurs