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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/274

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otages et vint se prosterner devant la statue de César ; à la grande gloire de l’armée romaine, qui, par une suite de victoires non sanglantes, était parvenue jusqu’à trois journées du Tanaïs. Le retour fut moins heureux : quelques-uns des navires qui rapportaient les troupes par mer furent jetés sur le rivage de la Tauride, et enveloppés par les barbares, qui tuèrent un préfet de cohorte et plusieurs centurions.

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Cependant Mithridate, qui n’attendait plus rien des armes, délibérait à qui demander de la pitié. Traître, puis ennemi, son frère Cotys ne lui donnait que des craintes. Il n’y avait dans le pays aucun Romain d’une assez haute considération pour qu’on pût s’assurer dans les promesses qu’il ferait. Il se tourne vers Eunone, exempt à son égard de haine personnelle, et fort auprès de nous du crédit que donne une amitié récente. Il prend donc l’air et l’habit le plus conforme à sa fortune, entre dans le palais d’Eunone, et tombant à ses genoux : "Tu vois, dit-il, ce Mithridate que les Romains cherchent depuis tant d’années sur terre et sur mer : il se remet lui-même en tes mains. Dispose à ton gré du descendant du grand Achéménès5 : ce titre est le seul bien que mes ennemis ne m’aient pas ravi."

5. Mithridate, roi du Bosphore, étant issu du grand Mithridate, septième du nom, sa famille remontait jusqu’à Mithridate Ier, satrape de la Cappadoce maritime, pays plus connu dans la suite sous le nom du royaume de Pont. Or, Mithridate Ier descendait d’un certain Artabaze, regardé par quelques historiens comme un fils de Darius Hystaspes, roi de Perse ; et la tige des rois de Perse était Achéménès, aïeul (ou bisaïeul) de Cambyse, père de Cyrus.

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Le nom éclatant de Mithridate, l’inconstance des choses humaines, la dignité de cette prière, émurent Eunone. Il relève le suppliant, et le loue d’avoir choisi la nation des Aorses et l’intercession de leur roi pour demander son pardon. Aussitôt il envoie des députés vers Claude avec une lettre dont le sens était "que les premières alliances entre les empereurs romains et les monarques des plus puissantes nations avaient eu pour base leur commune grandeur ; qu’il y avait entre Claude et lui un lien de plus, celui de la victoire ; que c’était finir glorieusement la guerre, que de la terminer en pardonnant ; qu’ainsi on n’avait rien ôté à Zorsinès vaincu ; que, Mithridate étant plus coupable, Eunone ne demandait pour lui ni puissance ni trône, mais la vie et la faveur de n’être pas mené en triomphe."

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