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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/29

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INTRODUCTION.

que le travail long et approfondi de la traduction me donnait, dans une juste mesure, le droit de juger les leçons diverses et de faire mon choix. J’ai comparé beaucoup d’éditions ; je ne parlerai que des trois principales : celle de Lallemand, Paris, 1760, d’où proviennent la plupart des réimpressions qui ont cours en France ; celle de Brotier, in-12, Paris, 1716 ; enfin celle d’Oberlin, imprimée à Leipsic en 1801, et répétée dans la belle collection de M. Lemaire. Le texte d’Oberlin est aujourd’hui le plus accrédité ; cependant j’y trouve de loin en loin quelques innovations qui me semblent ou inutiles ou inadmissibles. D’un autre côté, je ne pouvais suivre aveuglément aucun des deux autres, non plus que celui de Deux-Ponts. Quand beaucoup de raisons ne m’en auraient pas empêché, il suffisait qu’un savant comme Oberlin eût cru nécessaire une nouvelle révision, pour exclure de la préférence tout travail antérieur au sien. Quand ces diverses éditions ne s’accordent pas entre elles, j’ai choisi la leçon qui m’a paru la meilleure et la plus autorisée.

Pour les noms propres d’hommes, j’ai suivi le système judicieux recommandé par Tillemont, qui est de ne pas joindre une terminaison française avec une terminaison latine ; ainsi j’ai dit Fontéius Capito et Sophonius Tigellinus. Mais, quand les surnoms paraissent seuls, je n’ai pas craint de dire, suivant l’analogie de notre langue, Capiton et Tigellin. Il ne peut en résulter aucune obscurité, et souvent l’oreille est plus satisfaite. Racine dit également Claudius et Claude, et tout le monde appelle Caïus Cracchus le second des Gracques. Du reste, l’usage a été en ce point mon principal guide. Il en est de même pour les noms de villes. Quand ils n’ont subi que l’altération qu’un mot éprouve en passant d’un idiome dans un autre, et que d’ailleurs ces villes sont très-connues, j’emploie le nom généralement usité. Ainsi, pour Brundusium, je dis Brindes, au même titre que les Grecs disaient Boevriotov ; pour Placentia, je dis Plaisance, par la même raison que pour Roma, Gallia, Hispania, on dit Rome, la Gaule, l’Espagne ; je dis même Lyon, qui n’est qu’une abréviation de Lugdunum. Mais quand les noms sont tout à fait changés ou moins connus, je conserve l’ancien : je dis donc Ticinum, et non Pavie ; Brixellum, et non Bersello ; Dyrrachium, et non Durazzo ou Duras.

Deux expressions d’un autre genre, qui se rencontrent quelquefois dans ma traduction, méritent une observation particulière : ce sont les mots règne et trône. On trouvera peut-être qu’ils réveillent chez nous des idées étrangères aux Romains, chez qui les empereurs n’étaient pas des rois. Mais qu’il suffise d’avertir ici que nous ne les employons pas dans leur acception propre et, pour ainsi dire, officielle, mais dans un sens figuré et symbolique. Bossuet et Montesquieu connaissaient bien la nature du gouvernement romain, et cependant nous lisons dans le premier : « Auguste acheva son règne avec beaucoup de gloire ; » et dans le second : « Lorsque Tibère commença à régner, quel parti ne tira-t-il pas du sénat ? » Tacite lui-même se sert souvent de regnum, pour désigner le pouvoir réel qu’exerçaient les princes.