Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/285

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romain put les contempler tous deux, revêtus, l’un des habits de l’enfance, l’autre des attributs du commandement, et pressentir à cette vue leurs futures destinées. Quelques centurions et quelques tribuns plaignaient le sort de Britannicus : on les éloigna par des motifs supposés, ou sous prétexte d’emplois honorables. On écarta même le peu d’affranchis qui lui eussent gardé jusqu’alors une foi incorruptible, et voici à quelle occasion. Un jour, les deux frères se rencontrant, Néron salua Britannicus par son nom, et celui-ci appela Néron, Domitius. Agrippine dénonce ce mot à son époux comme un signal de discorde, et s’en plaint amèrement. "On méprise, selon elle, une auguste adoption ; on abroge dans l’intérieur du palais un acte conseillé par le sénat, ordonné par le peuple. Si l’on ne réprime la méchanceté des maîtres qui donnent ces leçons de haine, elle enfantera quelque malheur public." Ces invectives furent pour Claude des accusations capitales. II bannit ou fit mourir les plus vertueux instituteurs de son fils, et plaça près de lui des surveillants du choix de sa marâtre.

Montée en puissance d’Agrippine

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Toutefois Agrippine n’osait tenter les dernières entreprises, tant que les gardes prétoriennes resteraient confiées aux soins de Crispinus et de Géta, qu’elle croyait attachés à la mémoire et aux enfants de Messaline. Elle représente donc que la rivalité inévitable entre deux chefs divise les cohortes, et que, sous l’autorité d’un seul, la discipline serait plus ferme. Claude suivit le conseil de sa femme, et le prétoire fut mis sous les ordres de Burrus Afranius, guerrier distingué, mais qui savait trop de quelle main il tenait le commandement. Agrippine rehaussait de plus en plus l’éclat de sa propre grandeur. On la vit entrer au Capitole sur un char suspendu, privilège réservé de tout temps aux prêtres et aux images des dieux, et qui ajoutait aux respects du peuple pour une femme de ce rang, la seule jusqu’à nos jours qui ait été fille d’un César19, sœur, épouse et mère d’empereurs20. Cependant le plus zélé de ses partisans, Vitellius, dans toute la force de son crédit, à la fin de sa carrière (tant la fortune des grands est incertaine), fut frappé d’une accusation. Le sénateur Junius Lupus le dénonçait comme coupable de lèse-majesté, et lui reprochait de convoiter l’empire. Claude eût prêté l’oreille, si les menaces encore plus que les prières d’Agrippine n’avaient changé