Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/312

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les tavernes, déguisé en esclave, et accompagné de gens qui pillaient les marchandises et blessaient les passants. On le reconnaissait si peu, que lui-même recevait des coups dont il porta les marques au visage. Quand on sut que l’auteur de ces violences était César, les outrages se multiplièrent contre les hommes et les femmes du premier rang. Une fois la licence autorisée par le nom du prince, d’autres commirent impunément, avec leurs bandes, de semblables excès, et Rome offrait chaque nuit l’image d’une ville prise. Julius Montanus, de l’ordre sénatorial, mais qui n’était pas encore parvenu aux honneurs, rencontra Néron dans les ténèbres, et repoussa vivement son attaque ; il le reconnut ensuite, fit des excuses qu’on prit pour des reproches, et fut contraint de se tuer. Néron cependant, devenu plus timide, s’entoura de soldats et de gladiateurs. Tant que la lutte n’était pas trop violente, ils la traitaient comme une querelle privée et laissaient faire ; si la résistance était un peu vigoureuse, ils interposaient leurs armes. La licence du théâtre et les cabales en faveur des histrions furent aussi encouragées par l’impunité et les récompenses : Néron en fit presque des combats, dont il jouissait sans être vu, et que plus souvent encore il contemplait publiquement. Enfin la discorde allumée parmi le peuple fit craindre de plus dangereux mouvements, et l’on ne trouva d’autre remède que de chasser les histrions d’Italie, et de placer de nouveau des soldats au théâtre.

Problème des affranchis

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Vers le même temps, des plaintes s’élevèrent dans le sénat contre les trahisons des affranchis, et l’on demanda, que les patrons eussent le droit de punir l’ingratitude en révoquant la liberté. Beaucoup de sénateurs étaient prêts à donner leur avis ; mais le prince n’était pas prévenu, et les consuls n’osèrent ouvrir la délibération : toutefois ils lui transmirent par écrit le vœu du sénat. Néron délibéra dans son conseil s’il autoriserait ce règlement. Les opinions furent partagées : quelques-uns s’indignaient des excès où s’emportait l’insolence enhardie par la liberté. "C’était peu que l’affranchi fût l’égal de son maître ; déjà il osait lever sur lui un bras menaçant, et cette violence restait impunie, ou la punition faisait rire le coupable. Quelle vengeance était permise en effet au patron offensé, que de reléguer son affranchi au delà du vingtième mille, aux beaux rivages de Campanie ? Dans tout le reste, nulle différence entre eux devant les tribunaux. Il fallait aux maîtres une arme qu’on ne pût braver. Il en coûterait