Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/322

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voulu, et qui préférait le rôle de coupable à celui de suppliant. On attribuait au seul dessein de le perdre la proposition de renouveler par un sénatus-consulte les peines de la loi Cincia contre les orateurs qui rendaient leurs services. Suilius ne ménageait ni plaintes ni reproches, violent par caractère, et trop prés du tombeau pour n’être pas libre. Sénèque était l’objet de ses invectives. "Cet homme se vengeait, selon lui, sur les amis de Claude, du juste exil qu’il avait subi sous ce prince. Accoutumé aux études mortes de l’école et habile devant une jeunesse ignorante, il était jaloux de ceux qui consacraient à la défense des citoyens une vive et saine éloquence. Il avait été, lui, le questeur de Germanicus, et Sénèque le séducteur de sa fille. Était-ce donc un plus grand crime de recevoir le prix offert par la reconnaissance à un travail honorable, que de souiller la couche des princesses ? Quelle sagesse, quelles leçons de philosophie, avaient instruit Sénèque à entasser, en quatre ans de faveur, trois cents millions de sesterces15 ? Rome, où il surprenait les testaments et attirait dans ses pièges les vieillards sans héritiers, l’Italie et les provinces, qu’il épuisait à force d’usures, ne le savaient que trop ! Pour lui, de pénibles travaux ne lui avaient procuré que des biens modiques ; et il subirait accusation, périls, tout, plutôt que d’humilier, devant cette fortune soudaine, sa longue et ancienne considération."

15. Trois cents millions de sesterces valaient sous Néron 55 142 940 fr. de notre monnaie.

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Des bouches ne manquèrent pas pour faire à Sénèque un rapport, fidèle ou envenimé, de ces discours. On trouva des dénonciateurs qui accusèrent Suilius d’avoir pillé les alliés et volé le trésor public pendant qu’il gouvernait l’Asie. Un an leur fut donné pour recueillir les preuves ; mais bientôt ils jugèrent plus court de chercher à Rome même des crimes dont ils eussent les témoins tout prêts. Pomponius jeté dans la guerre civile par la violence de ses accusations, Julie, fille de Drusus, et Poppéa Sabina contraintes de mourir, Valérius Asiaticus, Lusius Saturninus, Cornélius Lupus perdus par ses intrigues, enfin des légions de chevaliers romains condamnées, et toutes les cruautés de Claude, voilà ce qu’ils lui reprochèrent. L’accusé répondit "qu’il n’avait rien fait de son propre mouvement, qu’il avait obéi à César." Mais Néron lui ferma la bouche en déclarant que son père n’avait jamais ordonné