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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/323

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une accusation ; qu’il en trouvait la preuve dans les tablettes de ce prince. Alors il mit en avant les ordres de Messaline, et la défense chancela. "Pourquoi, en effet, avait-il été choisi plutôt qu’un autre pour prêter sa voix aux fureurs d’une prostituée ? Il fallait punir ces exécuteurs d’ordres barbares, qui, après avoir reçu le salaire du crime, rejetaient le crime sur autrui." Dépouillé de la moitié de ses biens (car la moitié fut laissée à son fils et à sa petite-fille, avec ce qu’ils tenaient par testament de leur mère ou aïeule), il fut relégué dans les îles Baléares16, sans que, ni pendant son procès, ni après sa condamnation, l’on vît fléchir son orgueil. On dit qu’il consola, par une vie molle et voluptueuse, l’ennui de cet exil. Les accusateurs attaquèrent, en haine de lui, son fils Nérulinus, sous prétexte de concussion. Le prince les arrêta, en disant qu’on avait assez fait pour la vengeance.

16. Deux îles de la Méditerranée, vis-à-vis l’Espagne ; aujourd’hui Majorque et Minorque.

Un crime passionnel

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Vers le même temps, Octavius Sagitta, tribun du peuple, épris pour une femme mariée, nommée Pontia, d’un violent amour, achète l’adultère à force de présents. Bientôt il la décide à quitter son mari, s’engage à l’épouser, et reçoit sa promesse. Mais Pontia, une fois libre, remettait de jour en jour, opposait la volonté de son pire ; séduite enfin par l’espérance d’un plus riche mariage, elle retira sa parole. Octavius se plaint, menace, atteste sa réputation perdue, sa fortune épuisée, offrant à Pontia de prendre jusqu’à sa vie, le seul bien qui lui reste. Toujours repoussé, il demande pour consolation une dernière nuit, dont les douceurs lui rendront l’empire sur ses sens. La nuit est fixée : Pontia donne la garde de sa chambre à une suivante qui était dans la confidence ; Octavius, accompagné d’un seul affranchi, entre avec un fer caché sous sa robe. On sait tout ce qu’inspirent la colère et l’amour, querelles, prières, reproches, raccommodement ; le plaisir eut aussi dans les ténèbres ses moments privilégiés. Tout à coup, saisi d’une fureur à laquelle Pontia était loin de s’attendre, Octavius la perce de son poignard. L’esclave accourt ; il l’écarte d’un second coup, et s’élance hors de la chambre. Le lendemain le meurtre fut public, et l’on n’avait aucun doute sur le meurtrier : le séjour d’Octavius chez Pontia était avéré. Mais l’affranchi se déclara seul coupable : il avait, disait-il, vengé l’injure de son patron ; et la noblesse de cet aveu ébranlait