Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/368

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bruit de son approche, et n’en trouva pas moins Tigrane prévenu et sur ses gardes. Ce prince s’était jeté dans Tigranocerte, ville également forte par ses défenseurs et par la hauteur de ses murailles. En outre le fleuve Nicéphore1, d’un assez large cours, environne une partie des remparts, et un vaste fossé défend ce que le fleuve eût trop peu garanti. Des soldats romains étaient dans la place, et on l’avait munie d’approvisionnements. Quelques-uns des hommes chargés de ce soin s’étant emportés trop avant, l’ennemi les avait subitement enveloppés, et cette perte avait inspiré aux autres plus de colère que de crainte. D’ailleurs le Parthe réussit mal dans les sièges, faute d’audace pour attaquer de près : il lance au hasard quelques flèches, qui trompent ses efforts et n’effrayent point un ennemi retranché. Les Adiabéniens, ayant approché des échelles et des machines, furent aisément renversés, et les nôtres, dans une brusque sortie, les taillèrent en pièces.

1. Selon d’Anville, c’est le Khabour, et il passe prés d’une ville nommée Séred, qui, dit ce géographe, pourrait tenir la place de l’ancienne Tigranocerte.

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Corbulon, persuadé, malgré ces heureux succès, qu’il fallait user modérément de la fortune, députa vers Vologèse pour se plaindre qu’on eût attaqué sa province, qu’on tînt assiégés un roi allié et ami et des cohortes romaines. Il l’avertissait de lever le siège, ou lui-même irait camper sur les terres ennemies. Le centurion Caspérius chargé de cette mission trouva le roi dans Nisibe2, à trente-sept milles de Tigranocerte, et lui exposa fièrement ses ordres. Vologèse avait depuis longtemps pour maxime invariable d’éviter les armes romaines. D’un autre côté, ses affaires prenaient un cours malheureux : le siège était sans résultat ; Tigrane ne manquait ni de soldats ni de vivres ; un assaut venait d’être repoussé ; des légions étaient entrées en Arménie, et d’autres, sur les frontières de Syrie, n’attendaient que le signal d’envahir ses États : lui, cependant, n’avait qu’une cavalerie épuisée par le manque de fourrages ; car une multitude de sauterelles avait dévoré tout ce qu’il y avait dans le pays d’herbes et de feuilles. Il renferme donc ses craintes, et, prenant un langage modéré, il répond qu’il va envoyer une ambassade à l’empereur des Romains pour lui demander l’Arménie et affermir la paix. Il ordonne à Monèse d’abandonner Tigranocerte, et lui-même se retire.

2. Ville forte de l’ancienne Mygdonie, partie de la Mésopotamie : il n’en reste que de faibles traces dans le bourg de Nesbin.

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