Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/384

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dans toutes les grandes alarmes, l’événement qui arriva fut estimé le pire.

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Pour accréditer l’opinion que le séjour de Rome faisait ses délices, Néron donnait des festins dans les lieux publics, et il semblait que la ville entière fût son palais. De tous ces repas, aucun n’égala en luxe et en célébrité celui qu’ordonna Tigellin, et que je citerai pour exemple, afin de n’avoir pas à raconter cent fois les mêmes profusions. On construisit sur l’étang d’Agrippa un radeau qui, traîné par d’autres bâtiments, portait le mobile banquet. Les navires étaient enrichis d’or et d’ivoire ; de jeunes infâmes, rangés selon leur âge et leurs lubriques talents, servaient de rameurs. On avait réuni des oiseaux rares, des animaux de tous les pays, et jusqu’à des poissons de l’Océan. Sur les bords du lac s’élevaient des maisons de débauche remplies de femmes du premier rang, et, vis-à-vis, l’on voyait des prostituées toutes nues. Ce furent d’abord des gestes et des danses obscènes ; puis, à mesure que le jour disparut, tout le bois voisin, toutes les maisons d’alentour, retentirent de chants, étincelèrent de lumières. Néron, souillé de toutes les voluptés que tolère ou que proscrit la nature, semblait avoir atteint le dernier terme de la corruption, si, quelques jours après, il n’eut choisi, dans cet impur troupeau, un certain Pythagoras auquel il se maria comme une femme, avec toutes les solennités de noces véritables. Le voile des épouses fut mis sur la tête de l’empereur : auspices, dot, lit nuptial, flambeaux de l’hymen, rien ne fut oublié. Enfin, on eut en spectacle tout ce que, même avec l’autre sexe, la nuit cache de son ombre.

L’incendie de Rome

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Le hasard, ou peut-être un coup secret du prince (car l’une et l’autre opinion a ses autorités), causa le plus grand et le plus horrible désastre que Rome eût jamais éprouvé de la violence des flammes. Le feu prit d’abord à la partie du Cirque qui tient au mont Palatin et au mont Célius. Là, des boutiques remplies de marchandises combustibles lui fournirent un aliment, et l’incendie, violent dès sa naissance et chassé par le vent, eut bientôt enveloppé toute la longueur du Cirque ; car cet espace ne contenait ni maisons protégées par un enclos, ni temples ceints de murs, ni rien enfin qui pût en retarder les progrès. Le feu vole et s’étend, ravageant d’abord les lieux bas, puis s’élançant sur les hauteurs, puis redescendant, si rapide que le mal devançait tous les remèdes, et favorisé d’ailleurs par les chemins étroits et tortueux, les rues sans alignement