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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/436

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trompe l’ambition, et qui toujours proscrite dans Rome s’y maintiendra toujours. Le cabinet de Poppée avait entretenu beaucoup de ces devins, détestable ameublement d’un ménage impérial. L’un d’eux, Ptolémée, accompagnant Othon en Espagne, lui avait prédit qu’il survivrait à Néron. Quand l’événement eut donné crédit à ses paroles, il alla plus loin : guidé par ses propres conjectures et par les réflexions qu’il entendait faire sur le grand âge de Galba et la jeunesse d’Othon, il lui persuada qu’il serait appelé à l’empire. Othon recevait cette prédiction comme un oracle de la science et une révélation des destins : tant l’homme est avide de croire, surtout le merveilleux. Ptolémée d’ailleurs n’épargnait pas ses conseils, qui déjà étaient ceux du crime ; et, en de pareils desseins, du vœu au crime le passage est facile.

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On ne sait toutefois si l’idée de la révolte lui vint soudainement. Il y avait longtemps qu’espérant succéder à l’empire, ou songeant à s’en emparer, il briguait la faveur des gens de guerre. Pendant la marche vers Rome, sur la route et dans les campements, il appelait par leur nom les vieux soldats, et, faisant allusion au temps où il était comme eux à la suite de Néron, il les nommait ses camarades. Il reconnaissait les uns, s’informait des autres, les aidait de son argent ou de son crédit, mêlant souvent à ses discours des plaintes, des mots équivoques sur Galba, et tout ce qui peut agiter la multitude. La fatigue des marches, la disette des vivres, la dureté du commandement, donnaient lieu à d’amères réflexions, lorsqu’aux lacs de Campanie et aux villes de la Grèce, qu’ils visitaient naguère portés des flottes, ils comparaient les Alpes et les Pyrénées, et ces routes interminables, où il leur fallait cheminer laborieusement courbés sous le faix des armes.

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Mévius Pudens, un des familiers de Tigellin, avait, pour ainsi dire, mis le feu à ces mécontentements déjà si animés. Séduisant d’abord les caractères les plus remuants, et ceux que le besoin d’argent précipitait dans l’amour de la nouveauté, il en vint insensiblement au point que, sous prétexte de donner un repas à la cohorte de garde, chaque fois que Galba soupait chez Othon, il lui distribuait cent sesterces par tête. Ces largesses en quelque sorte publiques, Othon en augmentait l’effet par des dons secrets et individuels ; corrupteur si hardi qu’un soldat de la garde, Coccéius Proculus, étant en procès avec un de ses voisins pour les limites d’un champ, il acheta tout entier de son argent le champ de ce voisin,